Monsieur T. avait quatre sœurs et deux enfants majeurs.
Fâché de longue date avec ses deux enfants, Monsieur T. souhaitait en cas de décès privilégier ses sœurs et leurs enfants.
Les règles successorales françaises ne permettent néanmoins nullement de « renier » ses enfants et de les exclure de la succession, ceux-ci bénéficiant d’une réserve héréditaire à laquelle on ne peut toucher.
Il existe néanmoins une manière de contourner quelque peu ces règles par le biais des contrats d’assurance vie.
En effet les sommes perçues au titre de contrats d’assurance vie ne sont pas prises en compte dans le cadre des opérations de succession, de sorte que le souscripteur d’une assurance vie peut en faire bénéficier toute personne de son choix.
C’est ainsi que Monsieur T. avait souscrit trois contrats d’assurance vie et un contrat d’assurance retraite, dont il avait choisi pour bénéficiaires ses quatre sœurs.
Arrivé à un âge avancé, la maladie toucha Monsieur T, lequel au mois de novembre 2010 se trouva hospitalisé d’urgence pour démence vasculaire d’aggravation brutale.
Monsieur T., malgré quelques permissions de sortie de l’hôpital, ne put regagner son domicile, et ce jusqu’à sa mort au mois de janvier 2011.
En effet Monsieur T. était constamment perturbé, désorienté, perdu, à tel escient qu’une surveillance en milieu hospitalier était nécessaire et qu’une mesure de sauvegarde de justice avait été initiée mais n’avait pu aboutir avant le décès.
N’en demeure pas moins que, la fin approchant, les deux enfants de Monsieur T. sont comme par enchantement, après des années de discorde, revenu auprès de leur père sur son lit de mort.
Alors que ce dernier bénéficiait d’une permission de sortie d’un jour, quelques jours seulement avant sa mort, un testament nommant comme bénéficiaire des contrats d’assurance vie ses enfants aux lieu et place de ses soeurs fut établi par Monsieur T. et déposé auprès d’un notaire.
Or un tel testament prévaut sur les dispositions contractuelles des contrats d’assurance.
Les sœurs de Monsieur T. apprenaient alors, plusieurs mois après le décès de leur frère, par les compagnies d’assurance qu’elles n’étaient plus bénéficiaires des contrats, en raison d’un testament établi par ce dernier en fin de vie.
Compte tenu de la situation médicale de Monsieur T., lequel souffrait de démence, ces dernières ont émis un doute quant à sa capacité d’établir un testament.
En effet pour qu’un testament soit valable, le testateur, ainsi que cela relève de l’article 901 du Code Civil doit être sain d’esprit.
Il est donc impératif qu’au moment où le testateur rédige l’acte, le discernement de ce dernier ne soit pas altéré, et qu’il soit capable de discerner le sens et la portée de l’acte qu’il signe.
Si tel n’est pas le cas le testament est alors nul, et non avenu, ce qui n’est pas sans conséquence dans le cas d’espèce.
En effet les enfants de Monsieur T. avaient d’ores et déjà perçu les fonds des compagnies d’assurance, soit la somme de 300 000 €.
Si la capacité de Monsieur. T. venait à être remise en question, le testament serait annulé et ils seraient tenus de rembourser intégralement ces sommes.
Encore convenait-il d’établir l’absence de discernement de Monsieur T., ce qui constitue la première étape.
Pour ce faire, les sœurs de Monsieur T. ont saisi le Tribunal de Grande Instance en référé (procédure d’urgence), d’une demande d’expertise médicale sur dossier.
Craignant que les sommes ne soient dilapidées par les enfants de Monsieur T., ces dernières ont également sollicité que les sommes soient déposées sur un compte séquestre.
Si le tribunal a fait droit à la demande d’expertise, il n’a pas jugé bon de faire consigner les sommes sur un compte séquestre.
Une telle demande était pourtant parfaitement légitime, car ce faisant cela préservait les intérêts des uns et des autres, en évitant toute dilapidation de l’argent, et ce peu importe le résultat de l’expertise.
C’eut été de bon augure pour les sœurs de Monsieur T., puisque quelques mois plus tard, l’expertise médicale concluait au défaut de discernement de Monsieur T. lors de l’établissement du testament.
Il en résulte que les sœurs de Monsieur T. sont à présent bien fondées à solliciter la nullité du testament.
Néanmoins pour obtenir la nullité du testament et la condamnation des enfants de Monsieur T. à rembourser les 300 000 € perçus à tort, il convenait encore de saisir le tribunal d’une nouvelle action en ce sens, laquelle est en court et prendra encore des mois dans la mesure où il s’agit d’une procédure ordinaire, par définition plus longue .
Ainsi si les sœurs de Monsieur T. obtiennent gain de cause ce ne sera que plusieurs années après le décès de Monsieur T. et la remise des fonds à ses enfants.
Autant dire, la mesure de séquestre ayant été refusée, qu’il existe peu de chance si les enfants ont dilapidés les fonds que ces dernières recouvrent l’intégralité des sommes perçues, voire des sommes se réduisant à peau de chagrin.
Si par ailleurs les enfants de Monsieur T. n’ont pas de biens saisissables et ne sont pas in bonis, les condamnations resteront lettre morte, puisqu’aucune mesure d’exécution ne sera possible.
L’annulation du testament serait-elle véritablement une victoire ?
Pour que cela soit le cas il eut fallu que des mesures conservatoires soient mises en place, ce qui en l’espèce avait été refusé par le Tribunal dans le cadre de la procédure de référé.
Aussi, et si les enfants de Monsieur T. avaient, lorsque la décision sera rendue, dilapidé les fonds, cette décision favorable aux sœurs de Monsieur T. demeurera un simple papier qu’elles pourront accrocher au mur, sans aucune chance de recouvrer leurs gains.
Metz le 21 mars 2014