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La réparation du préjudice matériel et immatériel en matière de construction

Le 18 juillet 2013
Jugement du Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE en date du 30 novembre 2012

Monsieur et Madame H., maîtres d’ouvrage, ont confié à un constructeur de maison individuelle la construction de leur maison selon contrat en date du 10 mars 2003, en l’espèce avec fourniture de plans.

 

Le constructeur a souscrit une assurance dommages-ouvrage et décennale auprès du même assureur.

 

La réception des travaux a été prononcée selon procès-verbal en date du 25 octobre 2004 avec réserves, l’ensemble des réserves ayant été levées le 09 juillet 2005.

 

Les maîtres de l’ouvrage, constatant une dégradation de l’enduit en pied de façade avec une apparition de traces et d’auréoles du pignon, ont déclaré le sinistre auprès de l’assureur DO.

 

Celui-ci a refusé de mobiliser ses garanties sans pour autant déléguer d’expert.

 

Les maîtres de l’ouvrage ont mis l’immeuble en vente sans cependant parvenir à le vendre en raison des désordres l’affectant.

 

Ils ont saisi le Juge des référés lequel a fait droit, par ordonnance en date du 16 mars 2010, à leur demande d’expertise et a procédé à la désignation d’un expert.

 

L’Expert a constaté des traces d’humidité en partie inférieure du mur de la façade nord ainsi que la présence d’eau au niveau du fourreau d’un départ d’eau d’un radiateur.

 

Les investigations menées (notamment la mise sous pression du réseau) ont permis de déterminer que cette humidité avait pour origine une fuite sur le réseau d’alimentation enterré en chauffage du sèche-serviette de la salle de bain du rez-de-chaussée.

 

Il a également été relevé l’absence de regard de pieds de chute, ce qui est contraire au DTU 20.1 selon lequel les eaux pluviales doivent être recueillies dans un regard étanche.

 

L’Expert a ventilé les désordres selon qu’ils relevaient de la responsabilité contractuelle ou décennale (pour les désordres, apparus après réception, rendant l’ouvrage impropre à sa destination ou affectant l’immeuble en sa solidité).

 

Les maîtres de l’ouvrage ont saisi le Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE d’une demande tendant à voir condamner solidairement et subsidiairement in solidum le constructeur et son assureur à leur payer la somme de 7 170,72 € en réparation de leur préjudice matériel (coût de réfection de la canalisation fuyarde).

 

Estimant que les désordres ont empêché la vente de leur maison, les maîtres de l’ouvrage ont réclamé en outre la condamnation solidaire et subsidiairement in solidum du constructeur et de son assureur à leur verser la somme de 27 000 € (correspondant à la valeur locative du bien, soit 1 500 €, multipliée par le nombre de mois d’indisponibilité, soit 18 mois) au titre de leur préjudice immatériel.

 

Les maîtres d’ouvrage ont précisé que leur maison mise en vente pour un montant de 445 000 € a trouvé un acquéreur pour la somme de 405 000 € dès que les désordres ont été repris ; que le prix n’était pas exagéré puisque l’acquéreur s’est manifesté dès que les désordres ont été enrayés.

 

Le Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE a, par jugement en date du 30 novembre 2012, retenu que les infiltrations relevées en intérieur et en façades constituaient des désordres relevant de la garantie décennale tandis que l’absence de regard, n’étant pas susceptible d’affecter la solidité de l’immeuble ou de le rendre impropre à sa destination, engageait la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur sur le fondement de l’article 1147 du Code civil dans la mesure où celui-ci a manqué aux obligations techniques qui lui étaient imposées.

 

L’Expert a estimé la reprise des désordres à la somme de 7 170,72 € (5 570,72 € correspondant aux désordres relevant de la garantie décennale et 1 600 € relevant de la responsabilité contractuelle).

 

Le Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE a d’une part, condamné in solidum le constructeur et l’assureur à indemniser les dommages résultant de la responsabilité décennale (soit, en l’espèce, les infiltrations provoquée par la fuite sur le réseau d’alimentation enterré en chauffage du sèche-serviette), d’autre part, condamné seul le constructeur à supporter l’indemnisation des désordres relevant de la responsabilité contractuelle (soit, en l’espèce, l’absence de regard).

 

Par ailleurs, il a précisé que l’assureur ne pouvait opposer sa franchise qu’au constructeur qui est son assuré et non aux maîtres de l’ouvrage.

 

En revanche, il n’a retenu aucune indemnisation du préjudice immatériel en indiquant que « si les éléments produits permettent de convenir de ce que l’immeuble a été mis en vente, la période au cours de laquelle un acquéreur a été recherché n’est ni précisée ni prouvée ; qu’il n’est pas plus établi que les désordres, qui ne rendaient pas le bâtiment inhabitable, ont dissuadé d’éventuels acquéreurs ; qu’enfin, l’immeuble n’a trouvé preneur qu’à la suite d’une diminution significative du prix de vente, passé de 405 000 € à 445 000 € ;

Qu’en conséquence, faute pour eux de démontrer la réalité du dommage, Monsieur et Madame H. seront déboutés du surplus de leur demande ».

 

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Sur le préjudice matériel :

 

L’indemnisation des désordres repose dans cette espèce sur deux types de responsabilités distinctes.

 

La responsabilité décennale du constructeur repose sur les articles 1792 et suivants du Code civil et est engagée lorsque les désordres apparus après réception compromettent la solidité de l’ouvrage ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination.

 

La responsabilité contractuelle, quant à elle, est fondée sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et s’applique lorsque les désordres résultent du manquement de l’entrepreneur à ses obligations contractuelles telles que le respect des normes imposées par un DTU (lorsque le DTU est contractualisé).

 

L’assureur décennal n’a vocation à garantir que les désordres à caractère décennal ; c’est pourquoi, en l’espèce, le Tribunal a distingué la réparation des infiltrations provoquées par la fuite sur le réseau d’alimentation enterré en chauffage du sèche-serviette supportée par le constructeur et son assureur de celle de l’absence de regard qui correspond à un manquement aux obligations techniques qui étaient imposées supportée par le constructeur seul.

 

Il est également précisé que la franchise n’est pas opposable au tiers victime mais seulement à l’assuré.

 

Sur le préjudice immatériel :

 

Pour être indemnisé, le préjudice subi doit répondre à quatre conditions : être certain, actuel, direct et personnel.

 

Le principe de la réparation intégrale implique que soit également indemnisé le préjudice immatériel (Cass., Civ. III, 15 janvier 2003 ; Bull. civ. 2003, III, n°5 – pour la privation de jouissance).

 

Le préjudice immatériel peut prendre diverses formes ; ainsi sont indemnisés :

-          Un préjudice moral consistant en démarches et difficultés de procédure (Cass., Civ. III, 11 janvier 1984, JCP G 1984, IV, p. 87)

-          L’avance faite par le maître de l’ouvrage du coût de réfection des travaux en lui allouant des intérêts (Cass., Civ. III, 10 mai 1989 : Bull. civ. 1989, III, n° 107)

-          La perte d’une chance commerciale (Cass., Civ. III, 4 juin 1997 : Gaz. Pal. 1998, I, pan. Jurispr. P. 21)

-          Les pertes locatives (CA RENNES, 21 février 2002, n° 99/03719, JurisData n° 2002-186336), …

 

Toutefois, les tribunaux de première instance restent « frileux » quant à accorder un préjudice immatériel en matière de construction.

 

En l’espèce, le Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE a refusé d’indemniser le préjudice immatériel résultant de l’indisponibilité du bien à la vente estimant qu’il n’était pas certain.

 

Il indique en effet que la réalité du dommage est insuffisamment démontrée et estime que le délai pendant lequel la maison n’a pas trouvé d’acquéreur s’explique, en l’espèce, bien plus par un prix de vente excessif que par la présence des désordres.

 

Or, la jurisprudence retient qu’en l’absence de preuve rapportée, le préjudice immatériel ne peut être déterminé et déboute dès lors le demandeur (CA BASTIA, 19 octobre 2011, n° 08/00812, JurisData n° 2011-026001).

 

De même, la Cour de cassation a cassé un arrêt indemnisant des copropriétaires pour troubles psychologiques sans préciser le lien de causalité pouvant exister entre le sinistre auquel il avait été mis fin et les troubles psychologiques invoqués (Cass., Civ. III,26 Septembre 2007,n° 06-13.896, JurisData n°2007-040516).

 

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Il résulte de cette décision et de la jurisprudence citée que si les tribunaux acceptent d’indemniser des préjudices immatériels très divers, elle reste stricte sur les caractéristiques auxquelles ils doivent répondre : être certain, actuel, direct et personnel et enfin de rapporter la preuve d’un lien de causalité. Les juges considèrent encore souvent qu’être propriétaire emporte de subir les conséquences de désagréments affectant leur bien.