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LIBERTE D’EXPRESSION ET OFFENSES AUX CROYANCES RELIGIEUSES

Le 15 juin 2015

La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi proclame l’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et des Citoyens de 1789.

 

La liberté d’expression comporte non seulement le droit de librement s’exprimer mais également le droit de recevoir des informations.

 

Pour s’en convaincre, il suffira de relire l’article 19 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques du 16 décembre 1966 ou l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ou encore l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950.

 

Ainsi la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’hésite pas d’ailleurs à rappeler relativement à la presse qu’à sa fonction qui consiste à diffuser les informations et les idées sur des questions d’intérêt général s’ajoute pour le public le droit d’en recevoir.

 

S’il en est autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de chien de garde (CEDH, Bladet Trosm et Stensaas c/ Norvège n°21980/93 20 mai 1999)

 

La liberté d’opinion « vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels, il n'est pas de « société démocratique ». » (CEDH, 7 décembre 1976 Affaire Handyside c/Royaume Uni)

 

Pour autant, peut-on tout dire ? peut-on rire de tout ?

 

Il faudrait parler en réalité de liberté d’expression au pluriel tant ce sont développés des jurisprudences spécifiques à la liberté d’expression de l’artiste, de l’humoristique, du caricaturiste, du citoyen, de l’internaute, du politique, du syndicaliste, de l’historien, du scientifique.

 

Les abus de la liberté d’expression doivent être déterminés par la loi.

 

 

 

Il en va ainsi :

 

-          De l’atteinte à l’honneur et à la considération d’autrui soit les informations de diffamation et d’injure définies par la loi du 29 juillet 1881

 

-          Du droit au respect de la vie privée tel que consacré par l’article 9 du Code Civil et les dispositions du Code Pénal protégeant ce droit au travers des articles 226-1 et suivant

 

-          Du droit à l’image, attribut de la personnalité, protégé par l’article 9 du Code Civil

 

-          Du droit à la présomption d’innocence protégé par l’article 9-1 du Code Civil

 

Les lois du 29 juillet 1982 et 30 septembre 1986 sont venues imposer les règles de la déontologie.

 

Des radios et télévisions tout en consacrant la liberté de la radio et de la télévision avec par conséquent les restrictions à ces libertés.

 

La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 tout en proclamant la liberté de l’internet renvoie aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 pour les infractions et les abus de cette liberté et encadrent la liberté d’expressions de l’internaute.

 

Ces dernières semaines ont a beaucoup parlé de l’humoriste et caricaturiste.

 

Peut-on rire de tout ?

 

Quid de la relation entre humour et offense religieuse ?

 

S’il n’existe aucune immunité légale en faveur des humoristes ou des bouffons de la République une réelle tolérance voulue par l’usage conduit le Juge à concilier la plus large liberté d’expression avec les droits de la personnalité.

 

Le bouffon de la République parce qu’il remplit une fonction sociale éminente et salutaire participe à sa manière à la défense des libertés et revendique par conséquent un droit à l’irrespect et à l’insolence et à l’irrévérence.

 

Le délit de blasphème n’existe plus dans notre droit.

 

Le blasphème se définit comme l’outrage fait aux divinités, ce qui dans une religion est considéré comme relevant du sacré.

 

Le délit de blasphème n’existe plus depuis la déclaration des droits de l’homme et des citoyens

 

Pour autant, cela ne signifie pas que l’offense religieuse en tant que telle ne peut pas être réprimée.

 

Toutefois, la loi pénale est d’interprétation stricte.

 

Par conséquent, c’est au travers du champ étroit de la loi pénale et de la loi pénale spéciale en l’espèce qu’il faut appréhender l’offense religieuse.

 

La loi ne protège pas les croyances mais elle protège les individus.

 

Ainsi, s’il ne pénalise pas le blasphème, les Tribunaux français sanctionnent toutefois l’attaque personnelle directe dirigée contre un groupe de personnes ou une personne en raison de son appartenance à une race, une religion, une ethnie, une nation ou l’incitation à la haine raciale ou religieuse, ou l’incitation à la haine raciale ou religieuse.

 

Ainsi, ce sont les infractions d’injures et de diffamation à caractère racial et xénophobe qui sont réprimées par les dispositions des articles 24 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 ou des infractions d’incitation à la violence et de provocation à la violence ou à la haine raciale qui sont sévèrement sanctionnées par la loi tout comme l’apologie des crimes.

 

Ainsi, à côté des abus classiques de la liberté d’expression (droit à l’image, vie privée, présomption d’innocence, diffamation et injures) la loi sur la presse précisément la loi du 29 juillet 1881 renferme des dispositions sanctionnant plus sévèrement les injures, les diffamations à caractère raciste et xénophobe, et la provocation à la haine, à la violence à caractère racial et xénophobe et à l’apologie du crime.

 

Pour s’en convaincre, il suffit d’aller lire les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 qui seront dépaysés dans le code pénal.

 

Mais encore une fois, la loi pénale est d’interprétation stricte.

 

Il est donc nécessaire qu’il y ait à chaque fois une attaque personnelle et directe entre une personne ou un groupe de personnes en raison de cette appartenance à une race, une nation, une religion ou une ethnie.

 

Les éléments constitutifs de l’infraction doivent donc être réunis.

 

A défaut d’attaques personnelles et directes, nous sommes alors dans la liberté d’opinion qui même détestable n’en est pas moins recevable dans une société démocratique comme l’exige la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

C’est ainsi que certains historiens révisionnistes ou certains humoristes savent tutoyer les limites de la liberté d’expression.

 

Les jurisprudences nombreuses en témoignent.

 

Ainsi la République protège les citoyens dans les cas et dans les conditions strictement déterminés par la loi mais pas sa croyance.

 

Il n’y a qu’en Alsace-Moselle, terre de concordat qui n’est pas soumise à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, que le blasphème est reconnu comme un délit.

 

Le concordat, rappelons-le, est l’accord signé entre un Etat et le Saint Siège.

 

En l’espèce, le concordat de 1801.

 

Le régime concordataire en Alsace-Moselle est un élément du droit local alsacien et mosellan.

 

Il reconnait et organise les cultes catholiques, luthériens, réformés et israélites et permet à l’Etat de salarier les ministres de ces cultes.

 

Il constitue donc une exception à la séparation des Eglises et de l’Etat.

 

L’exercice des cultes est protégé par les articles 166 et 167 du Code Pénal Local maintenu en vigueur après la réintégration de l’Alsace-Moselle à la France.

 

Les blasphèmes publics, les outrages aux cultes reconnus et aux communautés religieuses, les troubles aux cérémonies culturelles ainsi que les menaces faites pour détourner une personne d’un culte sont punis d’une peine d’emprisonnement de 3 ans en plus.

 

Les dispositions du droit local alsacien-mosellan s’appliquent à toutes les convictions religieuses compte-tenu de la rédaction même de l’article 166 du Code Pénal allemand et non pas seulement aux seuls cultes reconnus.

 

Toutefois, faut-il le souligner ? Toute religion confondue il n’y a pas eu d’application de l’article 166 depuis 1918.

 

Ce texte est par conséquent en désuétude.

 

Sa suppression est envisagée.

 

Supprimer le délit de blasphème dans le droit alsacien-mosellan ne serait pas remettre en cause le droit spécifique d’Alsace-Moselle puisqu’il s’agit là de dispositions du Code Pénal allemand totalement indépendant du régime des cultes tels qu’issus du concordat.