Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Maître Antoine FITTANTE > Liberté de ton, droit de critique et polémique syndicale

Liberté de ton, droit de critique et polémique syndicale

Le 03 septembre 2010

La liberté d'expression apparaît aujourd'hui comme un principe démocratique fondamental consacré au niveau européen.

Ainsi l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dispose que :

« toute personne a droit à la liberté d'expression.

Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir une ingérence d'une autorité publique ».

Cette disposition est interprétée très libéralement par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

En effet la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans son arrêt « HANDYSIDE C/ ROYAUME UNI » du 7 décembre 1976 jugeait que « la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec ferveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquelles il n'est pas de société démocratique ».

Il ne saurait néanmoins y avoir de liberté sans certaines restrictions.

De fait si l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme pose en principe « la liberté d'expression », son alinéa 2 précise néanmoins que :

« L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique notamment à la protection de la morale, de la réputation ou du droit d'autrui... »

Néanmoins la liberté d'expression étant un principe fondamental, les restrictions qui lui sont apportées doivent s'entendre restrictivement.

Au titre des restrictions apportées à la liberté d'expression, figure notamment l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la diffamation.

En quoi consiste le délit de diffamation ?

En vertu de cet article :

« constitue une diffamation toute allégation ou imputation d'un fait précis qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Cet article limitant la liberté d'expression a ainsi vocation à protéger la réputation ou le droit d'autrui.

Aussi la jurisprudence française et européenne considèrent que le régime juridique de la diffamation tel que régi par la loi du 29 juillet 1881 dans ses grandes lignes est conforme à la liberté d'expression garantie par la Constitution et par l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

La diffamation se différencie de l'injure, également sanctionnée par la loi de 1881 (article 29), qui s'entend quant à elle d'une expression outrageante ou méprisante mais ne renfermant aucun fait précis.

La nécessité de prouver l'imputation d'un fait précis conduit à juger que ne constitue par le délit de diffamation une allégation vague et générale, une critique abstraite ou encore un jugement de valeur ou l'expression d'une opinion autorisé par le libre droit de critique

En effet il a été jugé que n'ont pas de caractère diffamatoire les allégations qui ne dépassent pas l'exercice de la libre critique.

Il sera également précisé que le prévenu poursuivi pour diffamation pourra obtenir une relaxe dans deux cas de figure.

En effet ce dernier pourra en effet échapper à toute condamnation par le biais de l'exceptio veritatis (exception de vérité).

Le prévenu devra alors apporter la preuve de la réalité des faits visés comme étant diffamatoires.

Le prévenu pourra en second lieu se prévaloir de l'exception de bonne foi, laquelle suppose la réunion de quatre critères cumulatifs, à savoir :

                        -la légitimité du but poursuivi par l'information

                        -la prudence dans l'expression

                        -l'absence d'animosité personnelle

                        -le sérieux de l'enquête

Il sera néanmoins précisé que ces critères ne sont pas appliqués avec la même force à tout un chacun.

Ils sont au contraire appliqués avec plus ou moins de souplesse ou de largesse selon les situations.

Ainsi les organisations syndicales voient leur liberté de ton appréciée avec largesse.

En effet la jurisprudence rappelle dans le cadre de ses décisions « qu'un syndicat regroupant des travailleurs est dans son rôle lorsqu'il s'exprime, pour leur protection, au sujet des évènements de la vie professionnelle, et notamment dans le cadre des élections : que sa liberté d'expression doit alors être la plus large possible ». (Tribunal de Police de PARIS, jugement du 08 février 2010)

Il en résulte que la dénonciation par une organisation syndicale de faits est conforme à son rôle et correspond à un intérêt légitime.

Il est ainsi admis qu'en matière syndicale, le droit de critique et de polémique permet d'avoir recours à des expressions plus acerbes pour exprimer son mécontentement, à condition toutefois que le droit de critique ne dégénère pas en attaques personnelles ou systématiques. (TGI de PARIS 19 mai 2010, Tribunal de Police de PARIS 08 décembre 2009)

Il apparaît ainsi que nous ne sommes pas tous égaux devant la liberté d'expression.