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Vers une restriction de la liberté de parole de l’avocat

Le 23 mars 2016


« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ».[1]
  L’immunité dont bénéficient les discours prononcés devant les tribunaux en vertu de l’article 41 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 n’interdit cependant pas de leur attribuer le caractère de provocation au sens de l’article 33 alinéa 2 de cette même loi.   Cet article rappelle que l’injure commise envers un particulier sera punie si elle n’a pas été précédée de provocations.   C’est par un arrêt en date du 31 mars 2015 que la Cour de Cassation a dû se prononcer sur la conciliation entre « immunité de robe »[2] et excuse de provocation.   En l’espèce, les propos contestés avaient été tenus au cours d’une audience correctionnelle lors de laquelle étaient jugés les auteurs du saccage d’une librairie.   Madame X., qui accompagnait son mari, gérant de la librairie « RESISTANCES », partie civile à l’audience, s’était adressée à l’avocat des prévenus en lui disant, lors de sa plaidoirie, « Vous êtes un salaud ! ».   Ce dernier venait, au cours de sa plaidoirie, d’établir un parallèle entre les actions de boycott des produits israéliens prônées par Monsieur X. et l’ostracisme des commerces juifs orchestré par le régime nazi, ce qui a fait monter Madame X dans une colère noire et l’a poussé à injurier publiquement l’Avocat des prévenus.   L’avocat des prévenus, Maître C., a alors porté plainte et s’est constitué partie civile du chef d’injure publique envers un particulier sur le fondement de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881.   Les premiers Juges ont retenu le caractère injurieux des propos tenus par Madame X., mais ont finalement relaxé cette dernière au bénéfice de l’excuse de provocation.   Les Magistrats ont effectivement estimé que Madame X. a été provoquée par l’Avocat des prévenus et qu’elle a pu légitimement se sentir directement visée par ce dernier lors de sa plaidoirie, ce qui légitimerait l’injure ainsi prononcée.       En cause d’appel, Maître C. faisait valoir que l’exercice d’un droit ne pouvait être considéré comme une provocation autorisant de surcroît une personne présente dans la salle, non partie à l’audience, à l’interrompre et à l’injurier publiquement.   Il a également rappelé que l’excuse de provocation ne pouvait être retenue que s’il existait un rapport direct entre la provocation et l’injure qui l’a suivie, soulignant que les juges du fond ne rapportaient pas en quoi Madame X., qui ne s’était pas constituée partie civile et n’était en rien citée ou visée par ses propos, aurait été personnellement visée, ni en quoi la comparaison polémique pouvait justifier ou expliquer l’injure.   Par un arrêt de rejet, la Cour de Cassation saisie du pourvoi confirmait la décision d’appel retenant l’appréciation souveraine des faits et des circonstances de la cause de cette dernière.   La Cour de Cassation confirme ainsi que l’injure spontanément proférée par Madame X., qui était personnellement visée par la comparaison établie par le Conseil des prévenus, répondait directement à des propos qui, eu égard aux circonstances dans lesquelles ils avaient été tenus, étaient de nature à porter gravement atteinte à son honneur et à ses intérêts moraux.   Cette solution apparait regrettable à certains points.   En effet, on aurait pu comprendre à certains égards la prise en compte de l’excuse de provocation si celle-ci avait bénéficié à Monsieur X., qui rappelons-le s’était constitué, seul, partie civile dans cette affaire.   Or, il est à rappeler que les magistrats retiennent ici l’excuse de provocation au bénéfice d’une personne présente dans la salle d’audience, qui n’était nullement partie à l’audience !   On pourrait s’interroger sur la possibilité de se sentir personnellement visé alors même que l’intéressé n’est pas partie à la procédure…   Par ailleurs, cette décision s’avère très sévère à l’encontre des avocats, lesquels doivent s’efforcer de ne jamais heurter quiconque se trouvant dans la salle d’audience alors que leurs discours devraient en principe être libres.   D’aucun serait tenté de dire qu’aucune liberté n’est absolue puisque sa limite réside dans les droits d’autrui. Toutefois, s’agissant de l’avocat, il est primordial de rappeler que sa liberté d’expression mérite une protection renforcée dans la mesure où elle est intrinsèquement liée à son indépendance, sans laquelle les droits de la défense ne seraient plus assurés.   Autoriser l’excuse de provocation de façon aussi large est de nature à priver concrètement l’avocat de sa liberté de parole, et donc de sa liberté de plaider, ce qui pourrait nuire aux intérêts de son client.   A la lecture de cette décision du 31 mars 2015, il revient à l’avocat d’être particulièrement attentif aux mots qu’il emploie et à la façon dont il mène sa plaidoirie, et ce d’autant que la Cour de Cassation est récemment allée plus loin dans son analyse considérant que si l’avocat bénéficiait d’une immunité pénale, il pouvait toutefois faire l’objet de sanction disciplinaire.   C’est ainsi qu’un Avocat a pu être sanctionné d’un avertissement pour manquement à son obligation de délicatesse et de modération compte tenu de la virulence et du volume sonore inhabituel de sa plaidoirie[3].   Plaidez mon cher Maître…mais en silence !!   La question reste posée de savoir si l’avocat reste toujours libre de sa parole et si l’immunité de robe existe toujours…   A la lecture de ces deux décisions rendues par la Cour de Cassation les 31 mars 2015 et 10 septembre 2015, il s’avère que l’immunité de robe a ses limites et n’existe que sur un plan pénal mais non sur le plan disciplinaire.

[1] Article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[2] Ibid

[3] Cour de Cassation, 1ère Civ., 10 septembre 2015. Il est toutefois à préciser que le volume sonore de la plaidoirie n’a pas été le seul motif de sanction. En effet, la Cour avait constaté la véhémence des propos tenus par l’Avocat dirigés contre le Magistrat, mettant en cause sa compétence professionnelle et le menaçant de le faire démettre de ses propos. La Cour aurait cependant dû opérer des distinctions entre ce qui ressortait de la liberté d’expression de l’avocat et ce qui pouvait constituer un excès. Menacer un Magistrat de le faire démettre de ses fonctions relève effectivement de l’outrance, ce qui est contraire à l’obligation de délicatesse. En revanche, le fait de s’exprimer avec virulence ou de recourir à un volume sonore plus important que la normale, ne saurait être constitutif d’un manquement disciplinaire.