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De l’utilité du sursis à statuer en matière de droit de la construction

Le 21 mars 2014

Madame Ariane D’AUBLE[i], maître de l’ouvrage, a confié à la société SOLAL la construction de sa maison d’habitation.

 

En date du 07 janvier 2013, la société SOLAL a saisi le Tribunal de grande instance de METZ aux fins de voir condamner Madame D’AUBLE au paiement d’une somme principale de 13 000,00 €, indiquant que son marché n’avait pas été soldé.

 

En défense, Madame D’AUBLE a saisi le Juge de la mise en état, sollicitant, au visa de l’article 771 du Code de procédure civile, que soit ordonnée une mesure d’expertise judiciaire au motif que l’immeuble édifié par la société SOLAL était affecté de très nombreux et graves désordres.

 

Par ordonnance en date du 13 décembre 2013, le Juge de la mise en état a ordonné une expertise et renvoyé la procédure à l’audience de mise en état du 11 avril 2014.

 

Cependant, de par le nombre important de désordres dénoncés par Madame D’AUBLE et, dans l’hypothèse où la société SOLAL estimerait devoir faire des appels en garantie, il est à craindre que l’expertise ne dure plusieurs années.

 

Pendant cette même période, la procédure se poursuivra devant le Tribunal de grande instance et sera régulièrement (tous les deux à quatre mois) évoquée lors d’audiences de mise en état, où elle fera l’objet de simples renvois à une audience ultérieure, dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.

 

Or, l’article 386 du Code de procédure civile dispose :

 

« L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans. »

 

Si la péremption d’instance est constatée, l’instance se trouvera éteinte, conformément à l’article 385, alinéa 1er, du Code de procédure civile

 

Les parties seront alors replacées en l'état antérieur à la demande en justice (Civ. 3ème, 22 juin 1988 : Bull. civ. 1988, III, n° 116 ; Gaz. Pal. 1988, 2, pan. jurispr. p. 236 ; D. 1989, somm. p. 181, obs. P. Julien) et l’ordonnance du juge de la mise en état sera elle-même atteinte par cette péremption (Civ. 1ère, 26 nov. 1996 : JCP G 1997, IV, n° 152 ; Bull. civ. 1996, I, n° 422 ; RTD civ. 1997, p. 739, obs. R. Perrot).

 

Bien plus, Madame D’AUBLE pourra se voir privée de toute possibilité d’agir en réparation des désordres à l’encontre de la société SOLAL, puisque « L’interruption de la prescription est non avenue lorsque le demandeur laisse périmer l’instance » (Civ. 1ère, 10 avr. 2013, pourvoi n° 12-18193 : Bull. civ. I, n° 69).

 

Or, aucune suspension de la péremption n'est admise après le prononcé d'une décision ordonnant une expertise ou toute mesure d'instruction (Civ. 2ème, 5 juin 1985 : Bull. civ. 1985, II, n° 109 ; RTD civ. 1986, p. 186, obs. R. Perrot. – Civ. 2ème, 5 mars 1991 : Bull. civ. 1991, II, n° 90. – Civ. 2ème, 6 févr. 1991 : JCP G 1991, IV, p. 128 ; D. 1991, inf. rap. p. 66. – Civ. 2ème, 6 mars 1991 : JCP G 1991, IV, p. 172 ; RTD civ. 1991, p. 404, obs. R. Perrot).

 

En effet, que l’article 2239 du Code civil, lequel dispose que « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée », est applicable aux seuls délais de prescription.

 

Or, en droit de la construction, les délais des articles 1792 et suivants du Code civil sont des délais de forclusion et non des délais de prescription (Civ. 3ème, 4 nov. 2004, n° 03-12.481 : JurisData n° 2004-025451 ; Bull. civ. 2004, III, n° 186 ; RD imm. 2005, p. 61).

 

De même, toute diligence émanant du juge n’a aucun effet interruptif de péremption, la jurisprudence excluant à cet égard la suspension de la péremption à la suite d'une décision de renvoi de l'affaire à une audience ultérieure (Civ. 2ème, 21 janv. 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 20 ; Gaz. Pal. 1987, 1, pan. jurispr. p. 76. – Civ. 2ème, 6 mai 1987 : Gaz. Pal. 1987, 1, pan. jurispr. p. 139).

 

Une demande de renvoi, fût-elle conjointe, n'est pas une diligence de la part des parties (Civ. 2ème, 17 janv. 1990 : Gaz. Pal. 1990, 2, somm. p. 359, note S. Guinchard et T. Moussa. – Civ. 2ème, 23 janv. 1991 : Bull. civ. 1991, II, n° 34).

 

En d’autres termes, si Madame D’AUBLE ne prend pas garde de déposer un mémoire dans les deux ans du dernier acte interruptif (décision ayant ordonné une expertise, acte de signification,…), l’instance se trouvera périmée, les renvois ordonnés par le Juge de la mise en état étant insuffisants pour interrompre ce délai.

 

Afin de prémunir du risque non négligeable de voir intervenir une péremption d’instance, Madame D’AUBLE peut toutefois saisir, à nouveau, le Juge de la mise en état aux fins de voir ordonner un sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.

 

En effet, l’article 392 du Code de procédure civile dispose :

 

« L'interruption de l'instance emporte celle du délai de péremption.

Ce délai continue à courir en cas de suspension de l'instance sauf si celle-ci n'a lieu que pour un temps ou jusqu'à la survenance d'un événement déterminés ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l'expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement. »

 

Une demande de sursis à statuer dans un procès, jusqu'à ce que le juge se soit prononcé sur une autre affaire dépendante de la première, constitue une diligence interruptive de cette première instance (CA Reims, 26 nov. 1992 : JCP G 1993, IV, 969, p. 110).

 

Tant que l'événement précisé par le jugement de sursis à statuer n'est pas intervenu, les juges ne peuvent faire application de la péremption (Civ. 2ème, 9 oct. 1996 : JCP G 1996, IV, 2323 ; Bull. civ. 1996, II, n° 230 ; D. 1996, inf. rap. p. 232).

 

Dès lors, une demande de sursis à statuer adressée au Juge de la mise en état permettra à Madame D’AUBLE, conformément à l’article 392 du Code de procédure civile, d’interrompre le délai de péremption.

 

Dès que le Juge de la mise en état ordonne le sursis à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise, le délai de péremption ne recommencera à courir qu’à cette date, à partir de laquelle la partie la plus diligente disposera d’un nouveau délai de deux ans pour reprendre l’instance et faire valoir ses droits.

 

Il convient encore de préciser que la jurisprudence exige que la suspension de l'instance résulte d'une véritable décision de sursis à statuer, rendue dans les conditions prévues aux articles 378 et suivants du Code de procédure civile, et non d'une décision informelle (Civ. 2ème, 27 mai 2004, n° 02-15.107 ; JurisData n° 2004-023902 ; Bull. civ. 2004, II, n° 251) ou d'une simple mention au dossier (Civ. 2ème, 23 févr. 1994 : Bull. civ. II, n° 72 ; RTD civ. 1994, p. 677, obs. R. Perrot).

 

 

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Par conséquent, dès lors que la procédure est déjà pendante devant la Juridiction du fond, en raison des délais importants nécessaires pour mener à bien une expertise judiciaire, le sursis à statuer se révèle indispensable afin de préserver les droits des justiciables.

 

En outre, le cas d’espèce imaginé par nos soins dans le cadre de la présente étude n’est qu’un exemple, les autres cas nécessitant que soit ordonné le sursis à statuer étant nombreux :

 

-          Si les parties se trouvent dans l’attente d’une contre-expertise ou à la suite du retour du dossier à l’expert,

-          Dans l’attente d’une décision devant être rendue dans le cadre d’une autre procédure soumise à une autre Juridiction, laquelle décision aura des répercussions sur l’instance concernée,

-          Dans l’attente d’une transaction, etc.

 

 

 

 

 

 



[i] Les noms des parties de ce cas d’espèce ont été empruntés au roman « Belle du seigneur » d’Albert COHEN (1968).