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De la notion de contestation sérieuse en matière de responsabilité décennale

Le 01 février 2017
Ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de METZ en date du 16 juin 2015

Le 16 décembre 2002, des travaux d’édification d’un immeuble situé dans la commune de C. ont débuté, ces travaux ayant notamment mobilisé les intervenants suivants :

-          Un maître d’œuvre,

-          Un géotechnicien,

-          Un bureau de contrôle,

-          Un bureau d’études ayant rédigé les pièces écrites,

-          Un bureau d’études béton,

-          Une société en charge du lot gros-œuvre, aujourd’hui liquidation judiciaire.

 

Les travaux de gros œuvre ont fait l’objet d’un procès-verbal de réception en date du                 10 juin 2004, des réserves ayant été à cette occasion formulées, mais ne concernant pas le litige.

 

L’immeuble édifié a été soumis au régime de la copropriété.

 

Il s’avère que des fissures sont apparues sur les façades.

 

Une déclaration de sinistre a été régularisée entre les mains de l’assureur de dommages-ouvrage le 20 mai 2007, lequel a mandaté un expert.

 

Ce dernier, tout en confirmant l’existence de fissures dont certaines atteignent 4 mm d’ouverture et sont traversantes, a conclu à l’absence d’infiltrations et, parallèlement, à l’absence d’atteinte à la solidité de l’ouvrage, de sorte que l’assureur dommages-ouvrage a refusé de mobiliser ses garanties, par lettre recommandée du 20 juillet 2007.

 

Cependant, les fissures s’étant aggravées, le syndicat des copropriétaires a saisi le Juge des référés du Tribunal de grande instance de METZ selon assignation du 03 juillet 2008, aux fins de voir ordonner une mesure d’expertise judiciaire.

 

Il a été fait droit à la demande du syndicat des copropriétaires par ordonnance en date du 02 septembre 2008.

 

Après de longues opérations d’expertise, l’expert ayant été contraint de mener une campagne d’investigations géotechniques et d’organiser de nombreuses réunions d’expertise, celui-ci a déposé son rapport en date du 19 septembre 2013.

 

Il y a retenu que l’existence d’une fissuration importante (certaines fissures étant qualifiées de « lézardes ») des façades avant et arrière de l’immeuble, ainsi que du dallage et des cloisons intérieures.

 

Selon l’expert, les fissures apparues en façade avant sont la conséquence d’un enfoncement des fondations des poteaux, lequel s’explique par la faible portance du sol d’assise de ces poteaux, les travaux ayant été réalisés au mépris de la nature du sol.

 

Les fissures apparues en façade arrière sont, quant à elles, la conséquence d’un tassement survenu après la mise en charge de l’immeuble, lequel tassement était prévisible puisque dénoncé dans le cadre de l’étude géotechnique, réalisée avant le début des travaux.

 

Il y a ainsi erreur de conception.

 

Quant à la fissuration du dallage, l’expert l’a expliquée par la survenance simultanée d’un retrait du béton en l’absence de joints et d’un tassement de la fondation du dallage, due à une réalisation défectueuse.

 

En outre, l’expert a confirmé que les fissures n’étaient pas stabilisées et que les désordres portaient atteinte à la solidité de l’ouvrage et l’affectaient en sa destination.

 

S’agissant des travaux de reprise, il avait été envisagé une reprise par micro-pieux, cette solution nécessitant cependant que l’immeuble soit, pendant une période de douze mois, vidé de l’ensemble de ses occupants.

 

Afin de limiter le préjudice immatériel, il a dès lors été envisagé la réalisation de travaux selon deux phases :

-          Une première phase, chiffrée à la somme de 336 216,00 €,

-          Et une deuxième phase, réalisée dans l’hypothèse où la première ne donnerait pas satisfaction, chiffrée à la somme de 443 308,00 €.

 

Compte-tenu de l’urgence, la solidité de l’ouvrage étant atteinte, le syndicat des copropriétaires a saisi le Juge des référés selon assignation en date du 20 septembre 2014, aux fins de voir l’assureur dommages-ouvrage, le maître d’œuvre, les bureaux d’études, dont la responsabilité avait été retenue par l’expert judiciaire, ainsi que leurs assureurs, condamnés au paiement d’une provision d’un montant de 335 000,00 €.

 

Le Juge des référés s’est prononcé selon ordonnance en date du 16 juin 2015.

 

Il a, à titre liminaire, rappelé que « Selon les dispositions de l’article 809 du Code de procédure civile, le président statuant en référé peut, dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire. »

 

Dès lors, il ne pouvait être fait droit à la demande du syndicat des copropriétaires que si le Juge des référés écartait toute « contestation sérieuse » quant à la demande.

 

À ce titre, le Juge des référés a rappelé que l’expert judiciaire avait conclu « que ces désordres compromettent la destination de l’immeuble ainsi que sa solidité. »

 

Or, « dès lors que les dommages constatés par l’expert affectent la solidité de l’ouvrage et que l’article 1792 du Code civil pose le principe d’une responsabilité de plein droit des constructeurs d’ouvrage, en ce compris l’architecte, l’entrepreneur, le technicien ou tout autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de l’ouvrage d’ouvrage, le principe de la responsabilité de plein droit [du maître d’œuvre et de son assureur, des bureaux d’études et de leurs assureurs] est susceptible d’être engagé sur son fondement et l’obligation ne saurait être sérieusement contestable. »

 

L’ensemble des parties défenderesses a ainsi été condamné, in solidum, au paiement d’une provision de 280 920,00 €, correspondant au quantum que l’assureur dommages-ouvrage avait reconnu devoir au syndicat des copropriétaires.

 

 

* * *

 

Il se déduit de l’ordonnance du 16 juin 2015 que, dès lors que l’expert :

-          S’est prononcé sur les responsabilités encourues,

-          Et a indiqué que les désordres dont il est sollicité réparation portent atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage et, de fait, relèvent de la garantie décennale des constructeurs,

celle-ci bénéficiant d’un régime de responsabilité de plein droit, il n’existe aucune contestation sérieuse, susceptible de faire échec à une demande de provision formée contre les constructeurs et contre leurs assureurs.

 

Par ailleurs, cette ordonnance confirme que le partage de responsabilité des constructeurs entre eux n’intéresse pas le maître de l’ouvrage victime des dommages et, dès lors, n’est pas susceptible de constituer une source de contestation sérieuse.