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De la prise en charge par l’assureur des désordres relevant de la responsabilité contractuelle de l’entreprise

Le 21 mars 2016
Jugement du Tribunal de grande instance de METZ du 22 juillet 2015

Au début de l’année 2009, dans le cadre de la construction de leur immeuble d’habitation, Monsieur et Madame L. ont confié à la SARL C. la fourniture et pose du lot « carrelage et pierres naturelles ».

 

La SARL C., n’ayant pas de disponibilité au titre des travaux de pose, a fourni aux époux L. les matériaux et leur a recommandé Monsieur T.

 

Confiants, les époux L. ont contracté avec Monsieur T., lequel a procédé à la pose des matériaux fournis par la SARL C.

 

Cependant, en cours de chantier, les époux L. ont constaté que le carrelage était mal posé, les joints n’étant ni uniformes, ni réguliers et des décrochements importants étant apparus au niveau de la jonction entre certains carreaux.

 

En outre, certains carreaux étaient endommagés.

 

Compte-tenu des désordres existants, les travaux n’ont pas été réceptionnés.

 

Le 07 octobre 2009, la SARL C. a établi sa facture définitive et, compte tenu de l'acompte d’ores et déjà versé, a sollicité des époux L. qu’ils lui versent la somme de 7 077,20 € TTC.

 

Dans ces conditions, Monsieur et Madame L. ont saisi le Juge des référés du Tribunal de grande instance de METZ aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

 

Il a été fait droit à leur demande selon ordonnance en date du 08 décembre 2009.

 

L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif d’expertise le 19 décembre 2010, confirmant la réalité des désordres dénoncés par les époux L., certains carreaux étant désaffleurants et la pose ne respectant pas les DTU applicables.

 

Il a chiffré le préjudice subi par les maîtres de l’ouvrage à la somme de 31 551,94 € TTC, en ce compris le coût des travaux de reprise et le préjudice de jouissance que subiront les époux L. pendant la réalisation des reprises, correspondant à leur hébergement à l’hôtel en demi-pension.

 

Suite au dépôt du rapport d’expertise, la SARL C. a saisi le Tribunal d’instance de METZ, sollicitant condamnation des époux L. au paiement du solde qu’elle estimait lui être dû, à hauteur de 7 077,20 €.

 

Les époux L. se sont opposés à la demande formée par la SARL C., indiquant que la responsabilité de cette dernière était engagée, dès lors qu’elle leur avait conseillé de contracter avec une entreprise, s’étant, in fine, révélée défaillante.

 

Or, la jurisprudence met à la charge du fournisseur un devoir de conseil.

 

Parallèlement, ils ont appelé en intervention forcée Monsieur T. et son assureur, la SA X., sollicitant leur condamnation au paiement de la somme de 31 551,94 €.

 

Compte-tenu de la valeur de la demande reconventionnelle formée par les époux L., le Tribunal d’instance s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de METZ, et ce, selon jugement du 19 février 2013.

 

Devant le Tribunal de grande instance et en défense, la compagnie X. a sollicité sa mise hors de cause, au motif qu’étant l’assureur décennal de Monsieur T., elle ne pouvait être condamnée à prendre en charge les désordres relevant de la responsabilité contractuelle de son assuré, les travaux n’ayant pas été réceptionnés.

 

Le Tribunal a statué selon jugement en date du 22 juillet 2015.

 

 

* * *

 

S’agissant de la demande formée par la SARL C., le Tribunal a rappelé que l’expert judiciaire n’avait pas mis en cause la qualité des matériaux fournis et a retenu que « Le devoir de conseil qui lui incombait dans le cadre de ce contrat de fourniture se limitait […] à des conseils techniques portant sur le choix des matériaux, au regard du projet et des contraintes de ses clients. »

 

Il a dès lors condamné les époux L. à lui régler la somme de 7 000,00 €, cette somme correspondant au montant des devis acceptés par les maîtres de l’ouvrage.

 

Par ailleurs, il a retenu la responsabilité contractuelle de Monsieur T., estimant que celui-ci n’avait « pas rempli son obligation de résultat »,et l’a condamné à régler aux époux L. la somme de 31 501,94 €.

 

En outre, le Tribunal a estimé que les garanties de la SA X. devaient être mobilisées, le contrat souscrit par Monsieur T. garantissant, outre la responsabilité décennale, les dommages matériels aux ouvrages en cours de chantier, soit avant réception.

 

Sur ce point, la SA X. avait tout d’abord argué de ce que la garantie dommages matériels aux ouvrages en cours de chantier ne jouait que pour les dommages matériels accidentels, ce qui excluait les dommages matériels résultant du non-respect des règles de l’art.

 

Toutefois, les époux L. ont fait observer que l’attestation d’assurance établie par la SA X., laquelle leur avait été remise, ne faisait nullement état d’une quelconque limitation aux seuls cas d’accidents.

 

Ainsi, le Tribunal a rappelé qu’une attestation d’assurance « doit permettre aux tiers d’avoir une vision exacte des activités et des dommages couverts par la police d’assurance de leur cocontractant. »

 

Il s’agit là d’une jurisprudence constante, la Cour de cassation retenant que, dans le cas d’une assurance exigée dans l’intérêt des clients éventuels des entrepreneurs et dont l’existence peut déterminer, lors de la conclusion du contrat de construction, le choix d’un entrepreneur, il appartient aux compagnies d’assurances sollicitées par leurs assurés, en vue d’obtenir une telle attestation destinée à être produite à la clientèle des entrepreneurs assurés, de ne pas fournir de renseignement de nature à égarer celle-ci quant à l’étendue des garanties offertes (Civ. 3ème, 17 déc. 2003 : RD Imm. 2004 62).

 

Le Tribunal a ajouté qu’« il suffisait à la SA X. d’ajouter le terme « accidentels » à la suite de l’expression « dommages matériels » pour que les destinataires de l’attestation aient une idée exacte de la nature des dommages couverts par l’assurance de leur cocontractant », la formule selon laquelle l’attestation « ne peut engager l’assureur en dehors des limites précisées par les clauses et conditions du contrat auquel elle se réfère », ne suffisant pas à la dispenser « de reproduire de façon exacte les termes clés du contrat ».

 

Le Tribunal en a conclu que la SA X. n’était « pas fondée à dénier sa garantie au motif du caractère non accidentel des dommages ».

 

De même, la SA X. avait entendu opposer aux époux L. une clause d’exclusion visant « Le coût des réparations et/ou remplacements rendus nécessaires par suite [de] l’inobservation inexcusable des règles de l’art ».

 

S’agissant de cette clause, le Tribunal a indiqué : « la clause litigieuse mentionne un critère particulièrement subjectif en faisant référence à une inobservation « inexcusable » des règles de l’art. Cet adjectif pouvant donner lieu à des interprétations très différentes, il ne présente pas le caractère limité exigé par l’article L. 113-1 du Code des assurances. »

 

De même, « les règles de l’art d’une profession ont des contours mal définis et leur inobservation peut donner lieu à des appréciations distinctes, il ne peut qu’être considéré que cette clause présente un caractère général et non limité ».

 

Ainsi, les époux L. « ayant la qualité de tiers par rapport au contrat d’assurance, […] cette exclusion leur sera déclarée inopposable ».

 

Enfin, la SA X. avait invoqué une dernière clause d’exclusion, selon laquelle n’étaient pas garantis « Les dommages affectant les travaux de l’assuré, réalisés en propre ou donnés en sous-traitance ».

 

S’agissant de cette clause, le Tribunal a retenu qu’« Il ne peut qu’être constaté que cette clause d’exclusion ne présente pas le caractère limité prescrit par l’article L. 113-1 du Code des assurances. Elle aboutit au contraire, par sa généralité et sa formulation à annihiler la garantie objet du contrat, vidant ce dernier de sa substance. Elle sera par conséquent déclarée inopposable aux époux L. »

 

Dès lors, la SA X. a été condamnée in solidum avec son assuré, Monsieur T., à payer à Monsieur et Madame L. la somme de 31 501,94 €.

 

 

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Le jugement du Tribunal de grande instance de METZ s’avère particulièrement audacieux.

 

En effet, s’il s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence de la Cour de cassation bien établie, il impose aux assureurs de rédiger leurs attestations et clauses d’exclusion avec précision.

 

En outre, la clause d’exclusion selon laquelle sont écartés de l’assiette de garantie « Les dommages affectant les travaux de l’assuré, réalisés en propre ou donnés en sous-traitance », clause tout à fait classique et se retrouvant systématiquement dans les contrats d’assurance, est expressément condamnée, la Cour d’appel de MONTPELLIER ayant, par ailleurs, déjà statué en ce sens (CA Montpellier, ch. 1, sect. A 01, 30 mai 2013 : JurisData n° 2013-011628).

 

Toutefois, appel a été interjeté par l’assureur.

 

Il convient dès lors d’attendre l’arrêt de la Cour d’appel, afin de voir si cette décision est ou non confirmée.