JUGEMENT DU TRIBUNAL D’INSTANCE DE THIONVILLE, 14 DÉCEMBRE 2010
ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DE METZ, 31 OCTOBRE 2013
Mme PALLAS[1] a fait procéder à la construction de sa maison d’habitation par la société H.D.G., selon contrat de construction de maison individuelle, les travaux de carrelage ayant été réalisés en sous-traitance par la société CÉSAR. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves, sans lien avec le litige, le 15 mars 2002. L’immeuble étant affecté de désordres d’humidité et d’une fissuration des carrelages, une expertise a été ordonnée, selon ordonnance en date du 3 août 2004, les opérations d’expertise ayant été étendues au sous-traitant, par ordonnance du 7 juin 2005. L’Expert judiciaire a déposé un premier rapport le 23 mai 2006 concluant que les fissures étaient d’ordre exclusivement esthétique, sans désaffleurement. Mme PALLAS a toutefois indiqué avoir constaté une évolution des fissures. Le même expert judiciaire a dès lors été désigné, selon nouvelle ordonnance en date du 17 juin 2008, lequel a déposé son rapport d’expertise définitif aboutissant aux mêmes conclusions que le précédent, à savoir que les désordres relevés ne rendaient pas l’ouvrage impropre à sa destination et étaient purement esthétiques. Mme PALLAS a saisi le Tribunal d’Instance d’une demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés HDG et CÉSAR à réparer son préjudice matériel, et ce, sur le fondement de la responsabilité décennale, puis subsidiairement, au terme de conclusions ultérieures, au visa des dommages intermédiaires. Le Tribunal d’Instance a, selon jugement en date du 14 décembre 2010, débouté Mme PALLAS de l’ensemble de ses demandes. Pour ce faire, le Tribunal a rappelé que tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui l’affectent dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendant impropre à sa destination (art. 1792 C. civ.) ; la présomption de responsabilité s’étendant aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage (art. 1792-3 C. civ.). Or, en l’espèce, le Tribunal a retenu que les désordres, exclusivement esthétiques, ne pouvaient relever de ces dispositions. Par ailleurs, le Tribunal a également rappelé que les autres éléments d’équipements de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de la réception (art. 1792-3 C. civ.). Le Tribunal a dès lors relevé qu’en l’espèce, le carrelage collé constituait un élément dissociable relevant de la garantie biennale. Cependant, les juges ont relevé que le premier acte interruptif de prescription était intervenu le 11 juin 2004 (date de la première assignation en référé-expertise), soit postérieurement à l’expiration du délai de prescription le 15 mars 2004, de sorte que l’action fondée sur la garantie biennale était prescrite. En outre, le Tribunal a précisé que la garantie biennale étant exclusive, il ne pouvait être fait application de la responsabilité de droit commun. C’est dans ces conditions que Mme PALLAS a interjeté appel dudit jugement. Mme PALLAS a, à hauteur de Cour, sollicité une contre-expertise laquelle a été confiée à un nouvel expert judiciaire, selon ordonnance en date du 16 janvier 2012, celui-ci ayant déposé son rapport définitif le 25 septembre 2012 confirmant la nature esthétique des désordres et attribuant leur origine à une absence de chape de ravoirage, à la pose d’un isolant inadapté et un temps de séchage insuffisant outre une absence de mise en chauffe avant pose du revêtement. La Cour d’appel a, par arrêt du 31 octobre 2013, infirmé le jugement du Tribunal d’Instance et prononcé la condamnation in solidum des sociétés HDG et CÉSAR à réparer le préjudice matériel de Mme PALLAS, son trouble de jouissance et son préjudice moral, outre 3 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile ; la société HDG étant par ailleurs condamnée à garantir la société CÉSAR à hauteur de 70 % de l’ensemble des condamnations prononcées. Pour ce faire, la Cour d’appel a confirmé le jugement en ce qu’il n’a pas retenu l’application de la garantie décennale s’agissant de désordres esthétiques. Par ailleurs, la Cour a estimé qu’un carrelage posé sur le sol du pavillon ne constituait pas un élément d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du Code civil et que le désordre relevait dès lors de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1147 du même code. La Cour a caractérisé les manquements des sociétés HDG et CÉSAR à leurs obligations contractuelles respectives (défaut de coordination satisfaisante des travaux et de mise en œuvre des matériaux adéquats pour la première et non-respect des règles élémentaires en matière de pose de carrelage pour la seconde) engageant dès lors leur responsabilité contractuelle. En outre, la juridiction d’appel a estimé que les manquements de la société HDG en tant qu’entreprise générale étaient prépondérants à ceux de la société CÉSAR et a dès lors fait peser 70 % de la charge finale des condamnations à son égard. * * * L’analyse de ces décisions mérite que l’on s’arrête sur deux points. D’une part, la Cour a retenu que le carrelage posé sur le sol du pavillon ne constituait pas un élément d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement. Il s’agit ici de l’application de la jurisprudence récente de la Cour de cassation consistant à écarter l’application de la garantie de bon fonctionnement aux désordres affectant un élément dissociable de l’immeuble non destiné à fonctionner (Cass., Civ. 3, 13 février 2013, n° 12-12.016, JurisData n° 2013-002199, Bull. 2013, III, n° 20 – Cass., Civ. 3, 11 septembre 2013, n° 12-19.483, JurisData n° 2013-019025, Bull. 2013, III, n° 103). De la même manière, sont exclus de la garantie biennale les désordres affectant les moquettes et tissus tendus (Cass., Civ. 3, 30 novembre 2011, n° 09-70.345, JurisData n° 2011-026721, Bull. 2011, III, n° 202). De seconde part, il convient de revenir sur la notion d’exclusivité de la garantie biennale empêchant l’application de la responsabilité de droit commun. Il s’agit de l’application de la règle « specialia generalibus derogant » qui exclut l’application du droit commun en présence d’une qualification spéciale. C’est ainsi que quand bien même les désordres auraient comme origine une non-conformité aux stipulations contractuelles, les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes qui sont tenues à celle-ci, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass., Civ. 3, 13 avril 1988, n° 86-17.824, JurisData n° 1988-700621, Bull. 1988, III, n° 67 – Cass., Civ. 3, 4 octobre 1989, n° 88-10.362, JurisData n° 1989-703039, Bull. 1989, III, n° 178). En l’espèce, l’exclusion du carrelage de la garantie de bon fonctionnement a ainsi permis à Mme PALLAS de ne pas être confrontée à la prescription de l’action et de faire prospérer ses demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, laquelle se prescrit à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de la réception (art. 1792-4-3 C. civ. – Cass., civ. 3, 22 novembre 2006, n° 05-19.565 ; Bull. 2006, III, n° 228 ; Rev. Civ. et Ass. n° 2, Février 2007, comm. 60).
[1] Les noms ont été modifiés.