Monsieur et Madame B., maîtres d’ouvrage, ont fait construire une maison individuelle dont les lots « Gros œuvre » et « Plâtrerie » ont respectivement fait l’objet d’une réception en date des 15 mars 2001 et 03 mai 2001, étant précisé que les maîtres de l’ouvrage se sont réservés les travaux de finition peinture-carrelage.
Les maîtres d’ouvrage, se plaignant de l’apparition de fissures affectant leur habitation, ont obtenu la désignation d’un Expert judiciaire, par ordonnance de référé en date du 06 novembre 2007.
La présente étude ne concerne pas la date de réception de l’ouvrage à laquelle sera consacrée une étude future.
L’Expert a retenu, dans son rapport d’expertise définitif déposé en date du 09 juillet 2008, que l’habitation des maîtres d’ouvrage était affectée de deux types de désordres ; le premier s’analysant en des fissurations des cloisons en carreaux de plâtre, le second en une fissuration du carrelage.
L’expert a, concernant les fissurations des cloisons en carreaux de plâtre, conclu que les fissures n’affectaient nullement le gros œuvre de l’habitation ; mais, a toutefois retenu le caractère évolutif desdites fissures de nature à nuire à la solidité de l’ouvrage.
Concernant la fissuration du carrelage, l’Expert a conclu qu’elle n’était pas de nature à nuire à la solidité de l’ouvrage, ni à le rendre impropre à sa destination.
Les maîtres de l’ouvrage, se fondant sur le rapport d’expertise, ont assigné devant le Tribunal de Grande Instance de METZ l’assureur décennal de l’entreprise chargée du lot « Plâtrerie » (cette dernière ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire) et sollicité sa condamnation au paiement des travaux de reprise des désordres, sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil.
Le Tribunal de Grande Instance de METZ, dans un jugement en date du 24 novembre 2010, a rappelé qu’ « en application de l’article 1792 du Code civil, la garantie décennale concerne les désordres qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.
Si le dommage doit être actuel, il peut être retenu le dommage évolutif sous certaines conditions.
Le dommage évolutif est le dommage ne présentant pas encore la gravité exigée par l’article 1792 du code civil, à savoir l’atteinte à la solidité de l’ouvrage ou à sa destination, mais à raison de son caractère évolutif, il revêtira, dans le délai de 10 ans à compter de la réception, la gravité requise (C. Cass. Ch. Civ. 3 du 21 octobre 2009 n° 08-15.136) ».
En l’espèce, le Tribunal a retenu que l’atteinte à la solidité de l’ouvrage n’était fondée que sur le caractère évolutif du phénomène ; or, il n’était pas apporté la preuve de ce que les fissures vont entraîner une atteinte à la solidité avant mai 2011 (soit dans un délai de dix ans après la réception des travaux de plâtrerie).
Dès lors, le Tribunal a débouté les maîtres de l’ouvrage de toutes leurs demandes.
Les maîtres de l’ouvrage ont interjeté appel du jugement arguant de ce qu’il importe peu de connaître la date à laquelle l’atteinte à la solidité interviendra dès lors que cette atteinte est certaine.
Ils ont également soutenu que les fissures s’étaient aggravées au point de présenter un danger pour la sécurité des personnes.
L’assureur a, pour sa part, sollicité la confirmation du jugement mais a néanmoins fait valoir que le Tribunal a opéré une confusion entre les désordres évolutifs et les désordres futurs ; les désordres évolutifs désignant ceux dont l’aggravation ne revêtira un caractère décennal qu’après l’expiration du délai de prescription de dix ans et qui ne seront dès lors pas couverts par la garantie décennale et les désordres futurs désignant les désordres dénoncés dans le délai de dix ans sans revêtir la gravité de l’article 1792 mais dont la gravité sera atteinte avec certitude avant l’expiration dudit délai de dix ans.
La Cour d’appel de METZ, dans un arrêt en date du 20 mars 2013 (soit près de deux ans après l’expiration du délai de garantie décennale), a retenu que les fissures affectant l’immeuble d’habitation des maîtres de l’ouvrage n’étaient pas susceptibles de nuire à la stabilité du pavillon, ne présentaient pas de danger pour la sécurité des personnes et permettaient un usage normal du pavillon.
Elle a ajouté qu’ « il n’apparaît pas que ces fissures, certes inesthétiques, présentaient un risque d’effondrement ou d’effritement des cloisons ou étaient infiltrantes, décalées ou saillantes au moment des opérations d’expertise ».
Sur « les prétendues nouvelles fissures », elle a estimé, d’une part, qu’elles apparaissaient être de même nature que celles constatées par l’Expert, et d’autre part, qu’en tout état de cause, il n’était pas rapporté la preuve qu’elles étaient apparues avant le 03 mai 2011.
Elle n’a ainsi pas retenu le caractère décennal des fissures.
La Cour d’appel de METZ a dès lors confirmé le jugement du Tribunal de Grande Instance de METZ en date du 24 novembre 2010 et débouté les maîtres d’ouvrage de leur demande de condamnation de l’assureur.
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Cet arrêt met ainsi en relief les conditions dans lesquelles des fissures peuvent être couvertes par la garantie décennale.
En effet, si les fissures ne revêtent qu'un caractère inesthétique, il est de jurisprudence constante qu'elles ne relèvent pas des dispositions de l'article 1792 du Code civil qui imposent une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou à sa destination.
→ Cass., Civ. III, 13 février 2008, n° 06.18-357, JurisData n° 2008-042770.
En revanche, la Cour d'appel de METZ a indiqué que si les fissures avaient présenté un risque d'effondrement ou d'effritement ou encore si elles avaient été infiltrantes, décalées ou saillantes c'est-à-dire si elles présentaient un risque de nature à atteindre à la solidité de l'ouvrage ou à nuire à la destination de l'ouvrage, la garantie décennale aurait pu s'appliquer, encore fallait-il que ce risque se révèle dans le délai de dix ans à compter de la réception des travaux.
En effet, la Cour d'appel de METZ fait ici l'application de la jurisprudence relative aux dommages futurs (et non celle des dommages évolutifs comme le jugement du Tribunal de Grande Instance de METZ le laissait supposer).
Cette jurisprudence implique que des dommages ne relevant pas encore de la garantie décennale car n'en présentant pas les caractères requis peuvent toutefois bénéficier de la présomption de responsabilité des constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du Code civil dès lors que ce caractère se révèlera de façon certaine avant l'expiration du délai de dix ans.
→Cass., Civ. III, 25 septembre 2002, Constr-Urb. 2002, comm. N° 269.
→ Cass., Civ. III, 19 décembre 2012, n° 11-27.593, 1558, JurisData n° 2012-030314.
A défaut de révélation dans ce délai, le désordre relèvera de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Néanmoins, il est à noter une exception dans laquelle la Cour de cassation a retenu que :
« Les désordres esthétiques généralisés des façades de l'immeuble en copropriété, qui affectent sensiblement son aspect extérieur, doivent être appréciés par rapport à la situation particulière de l'immeuble qui constitue l'un des éléments du patrimoine architectural de la commune de Biarritz ; ayant souverainement retenu que ces désordres portaient une grave atteinte à la destination de l'ouvrage, la cour d'appel a pu en déduire qu'ils justifiaient la mise en œuvre de la responsabilité décennale ».
→ Cass., Civ. III, 04 avril 2013, n° 11.25-198, 372, JurisData n° 2013-006188.
La Cour de cassation a ainsi confirmé la jurisprudence Pyramide du Louvre dans le cas d’ouvrage dont l’esthétique est un des critères de celui-ci.
Il est à noter que la jurisprudence administrative est plus extensive puisque, jugeant par référence aux principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du Code civil, elle retient que les dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant expiration du délai de dix ans.
→ CE, 31 mai 2010, n° 317006, Commune de Parnes.
Quid des dommages évolutifs?
Les dommages évolutifs peuvent être couverts par la garantie décennale mais les conditions de garantie sont restrictives.
En effet, cette théorie permettant à un maître d'ouvrage de demander, plus de dix ans après la réception des travaux, réparation des conséquences d'un désordre ayant porté atteinte à la solidité de l'ouvrage ou l'ayant rendu impropre à sa destination au cours du délai décennal, est soumis à la réunion de conditions appréciées strictement.
Ainsi, le désordre initial doit avoir donné lieu à une action en responsabilité décennale contre le constructeur et doit avoir revêtu les caractères nécessaires à la mobilisation de la garantie décennale.
→ Cass., Civ. III, 18 novembre 1992, n°91-12.797; Bull. Civ. 1992, III, n° 297.
De fait, l'aggravation d'un désordre esthétique ne relèvera pas de la théorie des désordres évolutifs.
Quant à l'aggravation du désordre, le nouveau désordre doit être de même nature (décennale) et intéresser exactement la même portion de l'ouvrage.
→ Cass., Civ. III, 18 janvier 2006, n° 04-17.400, JurisData n° 2006-031687.
Dès lors, un même désordre – des fissures - peut relever soit de la responsabilité contractuelle du constructeur s'il est d'ordre esthétique, soit de la garantie décennale, s'il présente un caractère décennal ou par application de la jurisprudence relative aux désordres futurs ou encore à celle des désordres évolutifs.