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L’appel en garantie du constructeur à l’encontre des sous-traitants

Le 06 mai 2016
Jugement du Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE, 14 décembre 2015

M. et Mme H. ont confié à la société A. la construction de leur maison d’habitation, selon contrat de construction de maison individuelle.
 
La société A. a sous-traité les travaux des différents corps d’état, notamment aux entreprises suivantes :
-        Le lot gros œuvre à la société C.
-        Les installations sanitaires et chauffage à Monsieur V.
-        Les enduits extérieurs à la société P.
 
Les travaux ont été réceptionnés sans réserve selon procès-verbal de réception en date du 22 avril 2003.
 
M. et Mme H. se plaignant de désordres affectant les volets électriques et de fissures sur un mur porteur ainsi que sur une cloison intérieure ont établi une déclaration de sinistre à l’assureur Dommages-ouvrage, lequel a dénié ses garanties, les désordres ne revêtant pas un caractère décennal.
 
Les maîtres de l’ouvrage ont allégué une aggravation des désordres et ont saisi le Juge des Référés d’une demande tendant à voir ordonner une expertise judiciaire.
 
Selon ordonnance de référé en date du 25 mars 2008, Monsieur S. a été désigné en qualité d’expert.
 
La société A. a appelé en déclaration d’ordonnance commune les différents sous-traitants afin de leur rendre opposables les opérations d’expertise.
 
Monsieur S. a déposé son rapport d’expertise au terme duquel il a distingué les fissures apparentes dans les cloisons à l’intérieur de l’habitation, les fissures dans l’enduit sur l’ensemble des façades et le défaut dans le système de chauffage, étant précisé que pour ce dernier point, l’Expert n’a pu opérer aucune constatation, la chaudière ayant déjà été démontée et désinstallée en 2007, les maîtres de l’ouvrage ayant cependant pris la précaution de faire constater les désordres par Huissier de justice.
 
C’est dans ces conditions que les Époux A. ont saisi le Tribunal de Grande Instance d’une demande tendant à voir condamner la société A. au paiement des travaux de reprise.
 
La société A. a dès lors fait délivrer aux sociétés sous-traitantes et à leurs assureurs Responsabilité Décennale une assignation en intervention forcée et en garantie, les procédures ayant été jointes par ordonnance du 30 septembre 2013.
 
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Le Tribunal a, en premier lieu, examiné les demandes de l’action principale, puis, en second lieu, les appels en garantie.
 
Sur l’action principale, le Tribunal s’est prononcé successivement sur les différents désordres.
 
S’agissant de la chaudière, les juges ont retenu que la présomption de responsabilité consacrée par l’article 1792 du Code civil a vocation à épargner au maître d’ouvrage la charge de prouver l’existence d’une faute du constructeur à l’origine du désordre affectant son bien ; elle suppose uniquement que soient établis l’existence d’un lien de causalité entre l’intervention du constructeur sur le chantier et le dommage dont il est demandé réparation.
 
Si M. S. n’a pu examiner la chaudière, celle-ci ayant été changée en 2007, les constatations de l’Huissier de justice permettent de retenir la réalité des désordres ; ceux-ci rendant l’immeuble impropre à sa destination.
 
Le constructeur qui a procédé à cette installation étant présumé responsable du désordre, la société A. est condamnée à payer la somme de 3 521,59 € correspondant au coût de remplacement de la chaudière.
 
S’agissant des fissures en façade, celles-ci n’étant pas infiltrantes, le Tribunal a écarté l’application de la garantie décennale et a retenu qu’il s’agissait de dommages intermédiaires susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur pour faute prouvée.
 
Une exécution défectueuse ayant été constatée par l’Expert, le Tribunal a retenu que la faute du sous-traitant était démontrée et que, dès lors, la responsabilité de l’entrepreneur principal est automatiquement engagée à l’égard du maître de l’ouvrage.
 
La société A. est condamnée à verser à M. et Mme H. la somme de 22 400 € au titre de la reprise des façades.
 
S’agissant des fissures intérieures, celles-ci ne rendant pas l’immeuble impropre à sa destination et ne l’affectant pas dans sa solidité, la garantie décennale est écartée au profit de la responsabilité de droit commun au titre des dommages intermédiaires.
 
Cependant, aucune faute d’exécution n’étant retenue par l’Expert, le Tribunal a rejeté les demandes formées au titre des fissures intérieures.
 
Sur les appels en garantie, le Tribunal a rappelé que le sous-traitant est tenu envers l’entrepreneur principal de livrer un ouvrage exempt de vices et ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère.
 
La Compagnie X., assureur décennal de M. V. (en liquidation judiciaire) titulaire du lot chaudière, a dès lors été condamnée à garantir la société A. à hauteur de 15 % des condamnations en principal, dépens et article 700 du Code de procédure civile.
 
En outre, la société P., chargé des enduits extérieurs, est tenue de garantir la société A. à hauteur de 85 % des condamnations en principal, dépens et article 700 du Code de procédure civile.
 
En revanche, le recours formé contre la Compagnie M., assureur décennal de la société P., n’a pas prospérer, les désordres relevant exclusivement d’une responsabilité contractuelle de droit commun.
 
De même, la demande principale au titre des fissures intérieures n’ayant pas prospéré, l’appel en garantie à l’encontre de la société C. et de son assureur a été déclaré sans objet.
 
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Cette décision est atypique en ce que le Tribunal a retenu qu’un constat d’huissier était suffisant pour prouver la réalité d’un désordre alors même que l’Expert n’a pu procéder à aucune constatation.
 
Il convient en effet de rappeler que l’Huissier de justice n’est pas un technicien de la construction et qu’en l’espèce, son constat n’a pas été dressé contradictoirement.
 
Il est vrai que la Cour de cassation a eu l’occasion de retenir qu’ « un constat d’huissier de justice, même non contradictoirement dressé, vaut à titre de preuve dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties » (Cass., civ. 3, 09 mai 2012, n° 10-21.041, JurisData n° 2012-009939).
 
Cependant, cet arrêt s’inscrit dans un domaine où la jurisprudence n’est pas clairement établie puisque, dans le même temps, la Haute juridiction va approuver une cour d’appel d’avoir prononcé la nullité d’un constat d’huissier pour défaut de contradictoire (Cass., Civ. 2, 05 mars 2009, n° 08-11.650, Bull. 2009, II, n° 66).
 
La doctrine analyse ces divergences comme étant des solutions dictées par des considérations de faits propres à chaque espèce (« Doit-il être dressé contradictoirement ? », Rev. Proc. n° 7, Juillet 2012, comm. 210, Roger PERROT), de sorte qu’il convient d’être réservé sur l’interprétation pouvant être retenue par une autre juridiction.
 
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Par ailleurs, ce jugement est une application classique des règles de responsabilité en cas de sous-traitance.
 
Tout d’abord, dans les relations maître d’ouvrage / constructeur, ce dernier est tenu de la bonne exécution des travaux sous-traités envers le maître d’ouvrage, même s’il n’a pas commis de faute de surveillance (Cass., Civ. 3, 05 janvier 1978, n° 76-14193, Bull. civ. 1978, n° 9).
 
C’est ainsi qu’il appartient au constructeur de répondre des fautes de ses sous-traitants.
 
Cependant, ces derniers n’échappent pas à leur responsabilité puisqu’ils sont tenus envers l’entrepreneur principal d’une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité (Cass., Civ. 3, 5 juin 2012, n° 11-16104).
 
Dès lors, l’entrepreneur principal est bien fondé, comme en l’espèce, à appeler en garantie les sous-traitants.
 
Dans le seul but d’être complet, il convient de préciser que le maître d’ouvrage peut directement rechercher la responsabilité des sous-traitants, étant précisé qu’il faut veiller à choisir le bon fondement juridique.
 
En effet, les sous-traitants ne sont pas tenus des garanties légales (Cass., Civ. 3, 20 juin 1989, n° 88-10939, Bull. 1989, III, n° 146).
 
En outre, n’étant pas liés contractuellement avec le maître de l’ouvrage, leur responsabilité à son égard est de nature nécessairement délictuelle (Cass., Civ. 3, 03 avril 2002, n° 00-20748).