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La nullité du rapport d'expertise en cas de violation par l'Expert du principe du contradictoire

Le 16 novembre 2012
Jugement du Tribunal de grande instance de METZ en date du 07 décembre 2011

Dès lors que l’Expert ne respecte pas le principe du contradictoire en ne faisant pas lui-même les constatations, en ne convoquant pas les parties aux opérations d’expertise, et en ne les mettant pas en mesure de présenter leurs observations en temps utile, le rapport déposé par celui-ci est nul et de nul effet.

 

Dès lors, toutes les demandes relatives aux désordres objet dudit rapport sont susceptibles d’être rejetées, en l’absence de preuve à leur appui.

 
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Un couple, dénommé maître de l’ouvrage, a confié la construction de sa maison à une Société X, le permis de construire ayant été accordé en 1997 et un devis de 488 340 francs (soit 74 446,95 euros), ayant été établi.

 

Les maîtres de l’ouvrage ont pris possession de leur immeuble en août 1998 mais n’ont pas procédé au règlement du solde, une somme de 77 884 francs (soit 11 873,34 euros) restant due au constructeur.

 

En conséquence, en 2002, la Société X a saisi le Tribunal de grande instance de METZ d’une demande tendant à voir les maîtres de l’ouvrage condamnés au paiement de cette somme, outre les intérêts au taux légal.

 

Ces derniers ont alors indiqué s’opposer au règlement de ladite somme, arguant de l’existence de nombreuses malfaçons.

 

Ainsi, par ordonnance du 19 novembre 2004, le Juge de la mise en état a confié une mission d’expertise à un expert, lequel a organisé une première réunion mais n’a malheureusement jamais déposé de rapport d’expertise.

 

Par requête en date du 21 mars 2006, la Société X a sollicité le remplacement de l’expert.

 

Par ordonnance en date du 29 mars 2007, un nouvel Expert a été désigné.

 

Or, ce dernier n’a jamais organisé de réunion d’expertise mais a néanmoins déposé un rapport d’expertise…

 

Bien plus, l’Expert a indiqué qu’il avait contacté à plusieurs reprises les maîtres de l’ouvrage par téléphone et qu’ils n’étaient pas parvenus à fixer une date de rendez-vous pour procéder à une visite des lieux.

 

Il s’est même rendu au domicile des maîtres de l’ouvrage afin de pouvoir les rencontrer, mais ces derniers lui ont refusé tout accès.

 

L’Expert a avisé le Juge chargé du contrôle des expertises, lequel a, par courrier du 21 mai 2007, laissé un dernier délai de 15 jours aux maîtres de l’ouvrage afin qu’ils lui fassent connaître par écrit leur accord à ce qu’une réunion d’expertise se déroule dans leur immeuble, et indiqué qu’à défaut de réponse, il demanderait à l’expert de passer outre et de déposer le rapport en l’état.

 

Ce courrier est resté sans réponse de la part des maîtres de l’ouvrage, de sorte qu’en date du 14 juin 2007, le Magistrat a invité l’Expert à déposer son rapport d’expertise faisant état des difficultés rencontrées.

 

Malgré cela, l’Expert n’a pas hésité à établir un rapport d’expertise, en se fondant exclusivement sur les pièces communiquées par les parties, notamment, un rapport d’expertise établi en 1999 à la demande de l’assureur dommages-ouvrage.

 

Au terme de son rapport d’expertise, l’Expert a retenu l’existence de désordres et moins-values à hauteur de 6 773,99 euros.

 

La Société X a alors soulevé la nullité du rapport d’expertise.

 

En effet, l’Expert n’a pas respecté le principe élémentaire du contradictoire et n’a pas pu personnellement constater les désordres dont il fait état, se contentant de reprendre une nomenclature du rapport d’expertise de l’assureur.

 

Or, l’Expert doit procéder personnellement à ses investigations et constatations, les parties étant impérativement présentes, représentées ou dûment appelées.

 

En outre, l’absence de constatations contradictoires cause grief à la Société X.

 

Par jugement en date du 07 décembre 2011, le Tribunal de grande instance de METZ a suivi cette argumentation et a déclaré le rapport d’expertise nul, au visa des articles 16 et 276 du Code de procédure civile, étant rappelé que l’Expert est tenu au respect du principe du contradictoire et qu’en application de ce principe, les parties doivent, d’une part, être convoquées et leurs conseils avisés des opérations et réunions d’expertise, et d’autre part, doivent être mis en mesure, en temps utile, de faire valoir leurs observations.

 

Or, en l’espèce, le Tribunal de grande instance a retenu qu’il y avait eu de graves atteintes au principe du contradictoire, en ce que :

 

Ä  L’expert n’a rien constaté par lui-même ;

Ä  Il a établi un rapport uniquement sur pièces sans aucun accord des parties ;

Ä  Il ne l’a pas communiqué aux parties avant de le transmettre au Juge ;

Ä  Il n’a pas laissé aux parties un délai pour formuler des observations.

 

En outre, le Tribunal de grande instance a rejeté la demande de contre-expertise formée par les maîtres de l’ouvrage, au motif que c’est en raison de l’opposition de ces derniers et de leur refus de laisser à l’Expert désigné par ordonnance du Juge de la mise en état l’accès de leur maison que celui-ci n’a pas été en mesure de remplir sa mission, et ce alors même qu’ils étaient demandeurs à l’expertise.

 

En conséquence, les maîtres de l’ouvrage ont été déboutés de l’ensemble de leurs demandes relatives aux désordres, en l’absence de tout élément de preuve et condamnés à payer à la Société X la somme de 11 873,34 euros avec intérêts conventionnels de 1 % par mois à compter du 01er septembre 1999.

 

Ainsi, il résulte de ce qui précède que refuser de payer le solde d’un contrat de construction peut coûter cher, car intérêts compris, la somme due s’élève à plus de 30 000 euros…