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Quels recours envisager lorsque la garantie décennale est expirée ?

Le 09 mars 2016


La responsabilité décennale des constructeurs expire à l’échéance d’un délai de dix ans à compter de la réception des travaux.  

Cependant, un désordre peut apparaître après l’expiration de ce délai de dix ans.

 

Quel recours peut alors s’offrir au maître de l’ouvrage ?



  • La garantie des vices cachés :

 


La Cour de cassation a admis que l’action en garantie décennale n’est pas exclusive de l’action en garantie des vices cachés de droit commun de l’article 1641 du Code civil, de sorte qu’elle a accueilli l’action des acquéreurs sur ce fondement pour des désordres relevant de travaux de construction alors que la garantie décennale était expirée
(Cass., Civ. 3, 17 juin 2009, n° 08-15503, Bull. 2009, III, n° 143).
 
Cependant, cette action n’a vocation à s’appliquer que dès lors qu’il y a eu une vente.
 
Ainsi, dans le cadre d’une construction selon contrats de louage d’ouvrage avec maître d’œuvre ou d’un contrat de construction de maison individuelle (qui est un contrat de louage d’ouvrage), aucun recours contre le constructeur ne pourra prospérer sur le fondement des vices cachés.
 
Il convient également de préciser que les articles 1641 et suivants du Code civil ne sont pas applicables à la vente en l’état futur d’achèvement (Cass., Civ. 3, 29 mars 2000, n° 97-21.681, Bull. 2000, III, n° 78).
 
 
  • La faute dolosive :
 
La faute dolosive est constituée lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, l’entrepreneur viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles (Cass., Civ. III, 27 juin 2001, SAMBTP c/ Epx SUIRE et autres, JurisData n° 2001-010351).
 
L’appréciation de la faute dolosive a connu, ces dernières années, quelques fluctuations.
 
Un arrêt de la Cour de la cassation en date du 08 septembre 2009 s’est inscrit dans le même mouvement que la jurisprudence administrative qui reconnaît le dol en cas de faute lourde et a semblé abandonner son critère de fraude et de dissimulation (Cass., Civ. III, 08 septembre 2009, n° 08-17.336, JurisData n° 2009-049397).
 
Ainsi, cet arrêt a retenu la faute dolosive de l’entrepreneur indiquant que l’installation de la cheminée dans une maison à ossature bois par des personnes ignorant visiblement les règles de l’art en ce qui concerne la notion d’écart au feu, était calamiteuse et manifestement incorrecte à la traversée du plancher mais également à la traversée d’un lambris et que l’installateur ne pouvait ignorer qu’il prenait un risque de nature à entraîner presque inéluctablement un désordre.
 
Deux arrêts sont ensuite revenus à une conception plus restrictive de la faute dolosive :
 
-        La cour d’appel de DIJON en écartant la faute dolosive « en l’absence de démonstration que de propos délibéré, les constructeurs ont violé leurs obligations contractuelles par dissimulation ou par fraude » (CA DIJON, 27 mai 2010, JurisData n° 2010-007774).

-        La Cour de cassation (toutefois par un arrêt non publié) qui a refusé la qualification de faute dolosive dans l’hypothèse d’une légèreté ou d’une incompétence professionnelle blâmable en l’absence de démonstration d’une dissimulation ou d’une fraude (Cass., Civ. III, 29 mars 2011, n° 08-12.703).
 
La Cour de cassation a, par la suite, continué à appliquer le critère de la dissimulation tout en revenant à une interprétation plus souple de ce critère.
 
Ainsi, la Cour de cassation a retenu que les fondations réalisées étaient à l’évidence non conformes aux documents contractuels quant à leurs dimensions mais également aux règles de l’art puisqu’elles n’avaient pas la profondeur nécessaire, qu’il existait également une différence par rapport aux plans des niveaux des planchers et que l’expert avait souligné que ces non-conformités avaient forcément été détectées par le constructeur ; que la cour d’appel a pu en déduire que cette connaissance par le constructeur de l’insuffisance notoire des fondations à un moment où il était encore possible d’y remédier, caractérisait une dissimulation constitutive d’une faute dolosive (Cass., Civ. III, 27 mars 2013, n° 12-13.840, JurisData n° 2013-005629).
 
Elle a également reproché à une cour d’appel de n’avoir pas recherché si le fait qu’une entreprise a livré un mur en s’abstenant de prévoir les fondations et les caractéristiques que requiert un mur de soutènement et par conséquent, en ne pouvant ignorer qu’elle prenait un risque de nature à entraîner l’effondrement de l’ouvrage, n’était pas constitutif d’une faute dolosive (Cass., Civ. III, 25 mars 2014, n° 13-11.18, JurisData n° 2014-006081).
 
La Cour d’appel de PARIS a récemment retenu « le dol doit être caractérisé par l’intention de dissimulation et concerner des faits présentant un caractère de gravité avéré. Est auteur de faits dolosifs l’entrepreneur qui tait sciemment les non-conformités du parking souterrain qui sont d’une particulière gravité au regard du risque d’effondrement. La dissimulation des anomalies affectant gravement l’ouvrage justifie que soit retenue la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur » (CA PARIS, 15 avril 2015, n° 13/14912, JurisData n° 2015-009154).
 
A été qualifié de faute dolosive par la jurisprudence :
 
  •   Le fait d’installer et de mettre en service une chaudière à gaz présentant des déformations importantes au niveau de ses éléments essentiels pour la sécurité au mépris des règles de l’art, faisant ainsi consciemment courir un danger à ses utilisateurs (CA ROUEN, 22 mars 2007, n° 05/04183, JurisData n° 2007-340391)
  •   Le fait pour un entrepreneur d’exécuter, par dissimulation de ses obligations contractuelles, des travaux pour lesquels il n'avait pas la compétence technique ; N'étant pas assuré, il ne pouvait pas méconnaître non plus qu'en cas désordres, il ne serait pas garanti, exposant ainsi le maître de l'ouvrage à une absence de recours possible en cas d'éventuels désordres, ce qui explique manifestement sa résistance pendant deux années pour laisser expirer le délai décennal afin d'éviter d'être confronté à sa faute et à sa non garantie ; Il convient de noter qu'en dissimulant le fait qu'il n'était pas spécialiste en matière de toit-terrasse, qui demande des compétences techniques très spécifiques, le maître de l'ouvrage ne pouvait pas ne pas savoir qu'il s'exposait fatalement à des malfaçons qui conduiraient à des désordres étant observé qu'en outre, l'entreprise, non assurée, ne pourrait pas indemniser le maître de l'ouvrage pour le cas où des désordres surviendraient. (CA LIMOGES, 20 décembre 2006, n° C06-0657, JurisData n° 2006-330365)
  •   Le fait d’offrir délibérément au maître de l’ouvrage de réceptionner la construction d’un bâtiment agricole sans relever la mauvaise exécution des travaux pourtant visible pour un spécialiste (CA RENNES, 20 avril 2006, n° 05/06621, JurisData n° 2006-308690).
  •   Le fait de facturer cinq pièces de charpente et d’en obtenir le prix alors que l’entrepreneur n’en a livré que quatre, lesquelles en nombre insuffisant et posées de manière non conforme aux règles de l’art, constituent la cause majeure des dommages (CA ROUEN, 22 février 2006, n° 04/00973, JurisData n° 2006-301638).
  •   Le fait de s'abstenir d'informer les maîtres de l'ouvrage du refus opposé par la mairie de la délivrance du certificat de conformité et des motifs de cette décision, résidant dans l’absence d’ouvrage permettant le raccordement des eaux pluviales dans le réseau des eaux usées (CA RENNES, 05 septembre 2002, n° 01/00472, JurisData n° 2002-194369).
 
La faute dolosive du constructeur maître d’œuvre a été retenue car il lui incombait de contrôler soigneusement le lieu d’implantation des fondations de l’immeuble à construire et sa négligence a conduit aux désordres rendant l’immeuble impropre à sa destination ; la garantie décennale étant échue, sa responsabilité contractuelle est retenue pour faute dolosive commise par emploi de techniques de construction inadaptées rendant l’immeuble inutilisable et dangereux (CA RIOM, 9 mars 2015, n° 14/00744, JurisData n° 2015-005273).
 
Il convient de souligner que la recherche de la responsabilité de l’entrepreneur pour faute dolosive est une responsabilité contractuelle, soumise à l’article 2224 du Code civil, soit à une prescription de cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit en l’espèce à compter de la découverte du vice.
 
 
Il résulte de ce qui précède qu’un maître de l’ouvrage ne se trouve pas complètement dépourvu de recours lorsque la garantie décennale est forclose.