TGI, Metz, 1ère chambre civile, 3 juin 2015, n° 13/00025
Les époux M. sont propriétaires d’une maison dans un village Mosellan.
Ils ont conclu un contrat de maîtrise d’œuvre avec la société A.C (maître d’œuvre) pour la transformation et l’extension de leur immeuble, selon permis de construire en date du 14 avril 2000.
La société R.C (entrepreneur) était, selon marché de travaux, responsable du lot « Démolition – Gros œuvre – VRD ».
Il est fait état, dans le procès-verbal de réception datant de juillet 2002, de problèmes d’infiltrations sur la terrasse.
En effet, les époux M. ont constaté la présence de désordres affectant à la fois leur car-port (qui se situe sous la terrasse) et leur cuisine d’été, raison pour laquelle une expertise judiciaire a été organisée.
Les désordres allégués par les demandeurs sont les suivants :
- Sur la terrasse et dans l’abri de voitures : écoulements d’eau chargée de calcites, résultat des infiltrations par la terrasse, et qui empêchent les époux M. de garer leur véhicule à cet endroit, notamment eu égard à la création de stalactites. Des dégradations ont d’ailleurs d’ores et déjà été constatées au niveau de l’escalier d’accès au jardin.
- Dans la cuisine d’été : infiltrations qui compromettent la destination de la pièce.
Les constats contenus dans le rapport de l’Expert judiciaire de novembre 2011 sont édifiants et incitent les époux M. à assigner le maître d’œuvre et l’entrepreneur, aux fins de les voir condamner solidairement et subsidiairement in solidum à la prise en charge des frais de reprise et du préjudice de jouissance.
Le maître d’œuvre soutient que la question de l’étanchéité de la terrasse a été évoquée au cours des réunions de chantier et que le procès-verbal de réception avec réserve a été dressé par la maîtrise d’œuvre elle-même, témoignant ainsi du respect de son obligation de conseil et de gestion de chantier.
Il ajoute qu’en tout état de cause, les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale.
Le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Metz a tranché dans un jugement du 3 juin 2015, en retenant la responsabilité in solidum de l’entrepreneur et du maître d’œuvre sur le fondement de l’article 1147 du Code civil pour les désordres de la terrasse et de l’abri de voitures, et sur le fondement de l’article 1792 du Code civil pour les désordres dans la cuisine d’été.
***
L’intérêt de cette décision, au-delà de la condamnation de l’entrepreneur pour malfaçons, sur le fondement contractuel et décennal, réside dans la condamnation in solidum du maître d’œuvre pour manquement à ses obligations.
En effet, dans le cas d’espèce, le TGI retient que la société A.C, titulaire d’une mission complète de maîtrise d’œuvre, comprenant notamment la direction générale des travaux et le suivi de chantier, « n’a pas exercé pleinement son rôle », et qu’elle se devait de vérifier la bonne tenue des travaux en question, ou tout du moins d’entreprendre les diligences nécessaires pour remédier aux désordres, puisqu’ils trouvent leur origine dans les infiltrations de la terrasse qui ont fait l’objet d’une réserve dans le procès-verbal de réception.
Le juge indique que « le maître d’œuvre étant tenu à une obligation de surveillance, la SOCIÉTÉA.C aurait dû s’assurer de la correcte exécution des travaux d’étanchéité de la terrasse, travaux particulièrement essentiels en raison des désordres pouvant être engendrés par des malfaçons ».
Il ajoute que le maître d’œuvre « était également tenu d’assister les époux M. lors de la réception ».
Enfin, il affirme que « l’obligation de conseil de l’entrepreneur ne dispense pas le maître d’œuvre de sa propre obligation ».
Outre le devoir de conseil qui est un classique dans les relations contractuelles entre professionnels et profanes, comme c’est le cas ici, le TGI rappelle également deux obligations inhérentes à la mission même de maîtrise d’œuvre, à savoir :
- L’obligation de surveillance
- L’obligation d’assistance
Elles sont spécifiques au maître d’œuvre titulaire d’une mission complète, et engendrent une lourde responsabilité pour ce dernier.
***
Ces deux obligations correspondent à deux phases de la mission de maîtrise d’œuvre : si la surveillance se situe au moment même de la réalisation des travaux, par le suivi et le contrôle des entreprises intervenantes, l’assistance se place quant à elle davantage au moment de l’achèvement des travaux, lorsque les maîtres d’ouvrage ont besoin d’être aiguillés par un professionnel, notamment pour acter leurs éventuelles réserves.
Les devoirs de surveillance et d’assistance s’adressent, dès lors, à deux types de destinataires distincts que sont les entrepreneurs et les maîtres de l’ouvrage.
Le devoir de surveillance du maître d’œuvre est une notion jurisprudentielle, en ce sens qu’il ne trouve pas d’écho précis dans les textes.
Il s’agit pourtant d’une obligation relativement ancienne, puisqu’il a déjà été jugé que « le maître d’œuvre chargé d’un contrat complet de maîtrise d’œuvre devant être considéré comme responsable des malfaçons notamment par sa carence caractérisée dans la surveillance des travaux et que les fautes imputables à la fois à l’entrepreneur et au maître d’œuvre avaient causé un dommage indissociable, ce qui imposait leur condamnation in solidum à le réparer » (CA, Montpellier, Ch. 1, 23 mars 1989, JurisData n° 1989-034091).
La condamnation du maître d’œuvre pour manquement à son obligation de surveillance est aujourd’hui une solution couramment utilisée en jurisprudence (Cass., Civ. 3e, 25 juin 2014, n° 11-26.85, JurisData n° 2014-014494 / CA, Nancy, Civ. 1ère, 29 septembre 2015, n° 15/00651).
Dès lors, il apparait qu’un défaut de surveillance de la part du maître d’œuvre engendre sa responsabilité du fait des malfaçons sur un ouvrage.
Le TGI de Metz s’est, en l’espèce, placé dans cette continuité jurisprudentielle : il a en effet souligné cet aspect de la mission de maîtrise d’œuvre aux fins de rappeler que le maître d’œuvre investi d’une mission complète est responsable des malfaçons sur son chantier, dès lors qu’il n’a pas correctement exécuté son obligation de surveiller le travail des entreprises.
En complément de ce devoir de surveillance vient le devoir d’assistance du maître d’œuvre auprès des maîtres de l’ouvrage, en particulier lorsqu’eux ceux-ci sont des profanes.
Il a été jugé que « le maître d'œuvre doit assistance au maître de l'ouvrage lors de la rédaction du procès-verbal de réception » (CA, Pau, Ch. 1, 22 janvier 2001, n° 99/000722, JurisData n° 2001-144983).
De plus, la norme AFNOR NF P03-001 de décembre 2000 concernant les marchés privés, dispose en son article 3.1.10 que le maître d’œuvre est « la personne physique ou morale qui, pour sa compétence, peut être chargée par le maître d’ouvrage : (…)
- de diriger l’exécution du ou des marchés de travaux ;
- d’assister le maître de l’ouvrage pour la réception des ouvrages et le règlement des comptes avec le ou les entrepreneurs ».
Il en résulte que le maître d’œuvre, au cours d’une mission complète, est à la fois responsable de surveiller la bonne mise en œuvre des travaux et des malfaçons qui peuvent en découler, mais doit également assister les maîtres de l’ouvrage qui, dans le cas des époux M., ne sont pas des professionnels de la construction.
***
Le jugement d’espèce vient confirmer qu’un maître d’ouvrage profane a tout intérêt à confier une mission de complète à un maître d’œuvre, compte tenu des obligations inhérentes à sa mission qui font de lui un référent sur le chantier.