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Sur la qualification juridique et la valeur du règlement de lotissement

Le 05 avril 2017
CA, Nancy, 2e ch. civ., 19 janvier 2017, n° 16/00311



La société PC est propriétaire d’un terrain à construire dans un lotissement, et les époux C. sont propriétaires du terrain mitoyen sur lequel a été édifiée une maison d’habitation.

Il existe un désaccord entre les deux voisins concernant un appentis et un muret sur le terrain des époux C., bâtis en vertu d’un permis de construire de 2006, et qui seraient, d’après la société PC, construits en violation des prescriptions du règlement de lotissement.

A ce titre, la société PC a assigné les époux C. devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Nancy, aux fins de les voir condamnés à la démolition de leur appentis et qu’il soit déplacé de 3 mètres par rapport à la limite séparative entre les deux terrains d’une part, et à la réduction du muret à une hauteur de 0,50 mètre d’autre part.

Par jugement en date du 26 novembre 2015, le TGI a débouté la demanderesse de l’ensemble de ses demandes, au motif qu’elle ne produit aucune preuve quant aux préjudices qu’elle allègue, à savoir une perte de visibilité et d’ensoleillement, ainsi qu’une prétendue diminution de la valeur de son bien.

La société PC a, dès lors, interjeté appel, affirmant que les époux C. auraient violé les règles imposées par le règlement du lotissement, alors que ce document constituerait un cahier des charges à valeur contractuelle, liant ainsi les colotis entre eux.

Les époux C., quant à eux, se fondent sur l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme qui dispose, en son premier alinéa, que :

« Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire : 1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative (…) ».

Ils exposent en effet que l’action de la société PC est fondée sur la violation des règles édictées par le règlement de lotissement, alors qu’il s’agit d’un document approuvé par l’Administration ce qui justifie l’application du Code de l’urbanisme. Ils soulignent également le fait que la demanderesse n’apporte aucune preuve de réels préjudices causés par les constructions litigieuses.

La Cour d’appel de Nancy a statué en déboutant la société PC de l’intégralité de ses demandes.

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Pour justifier sa décision, la Cour d’appel fait d’abord référence à l’article L. 421-6[1] du Code de l’urbanisme afin de retenir que « le règlement de lotissement s’analyse comme un acte administratif réglementaire concernant ses dispositions relatives à l’implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leurs dimensions, leur assainissement et l’aménagement de leurs abords ».

Elle ajoute qu’il est possible de conférer un caractère contractuel au règlement de lotissement, à condition que cette contractualisation procède d’une volonté exprimée sans équivoque.

Or, en vertu de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme qui dispose que « La seule reproduction ou mention d'un document d'urbanisme ou d'un règlement de lotissement dans un cahier des charges, un acte ou une promesse de vente ne confère pas à ce document ou règlement un caractère contractuel », il est établi que la société PC n’a produit aucun cahier des charges et ne dispose, par ailleurs, d’aucune preuve de l’engagement exprès des époux C. à respecter les prescriptions du règlement de lotissement.

Il en résulte qu’en l’espèce, le règlement de lotissement contient des règles extracontractuelles, d’urbanisme, ce qui justifie de l’application de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.

La Cour conclut en précisant que l’implantation de l’appentis est conforme aux prescriptions du permis de construire et que ce dernier n’ayant pas été annulé, la demande de la société PC est irrecevable.

Concernant le muret, il est établi qu’aucune prescription quant à sa hauteur ne figure dans le permis de construire, de sorte que l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme ne peut être appliqué. Sa hauteur est effectivement non-conforme aux dispositions du règlement de lotissement, mais eu égard à sa nature extracontractuelle, la demanderesse, en sa qualité de propriétaire coloti, doit apporter la preuve d’un préjudice personnel causé par la hauteur dudit muret, justifiant ainsi sa demande.

Or, la société PC n’apporte aucun élément tangible attestant d’un réel préjudice causé par ce muret.

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Cet arrêt de la Cour d’appel est intéressant à deux égards :

Tout d’abord, il réitère une jurisprudence constante concernant la qualité juridique du règlement de lotissement.

Le débat se situe dans sa qualification contractuelle ou extracontractuelle, et la Cour rappelle à ce titre qu’il convient de distinguer entre le règlement, qui doit nécessairement être approuvé par l’autorité administrative, du cahier des charges de lotissement, qui est un document contractuel d’ordre privé.

La Cour conclut à la nature non-contractuelle du règlement de lotissement du cas d’espèce.

Cette qualification est une constante en jurisprudence, puisqu’il a déjà été jugé à plusieurs reprises que « le règlement d'un lotissement n'a pas en lui-même de valeur contractuelle » (Cass., Civ. 3e, 26 mars 2008, n° 07-14.787, JurisData n° 2008-043402 / Cass., Civ. 3e, 29 janvier 2014, n° 12-24.156, JurisData n°2014-001143).   Ensuite, la Cour revient sur l’application de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.

En effet, dans notre cas d’espèce, il est reproché à l’appentis des époux C. de ne pas respecter la distance de 3 mètres par rapport à la limite de séparation des deux propriétés. Or, la Cour raisonne ici via un syllogisme juridique :

1)     Le règlement de lotissement est un acte administratif et n’est, en l’espèce, pas de nature contractuelle. 2)     Or, ici, l’appentis est conforme au permis de construire qui n’a, en outre, jamais été annulé. 3)     Par conséquent,  l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, qui dispose qu’aucune démolition n’est possible du fait de la méconnaissance de règles d’urbanisme, dès lors que le permis de construire concerné n’a pas été annulé suite à un recours pour excès de pouvoir, s’applique.

L’appentis est de ce fait inattaquable, même s’il n’est pas conforme aux dispositions du règlement de lotissement.

Ce raisonnement est également une constante en matière jurisprudentielle, bien que source de nombreuses controverses doctrinales (Cass. Civ. 3e, 7 juillet 2015, n° 13-27.471 : Constr.-Urb. 2015, comm. 138 / Cass., Civ. 3e, 8 décembre 2016, n° 15-16-028, JurisData n° 2016-026278).

Il a par exemple été jugé de l’irrecevabilité de la demande d’indemnisation du requérant « au motif que la maison du voisin a été édifiée en violation des règles d’urbanisme et que cette violation est à l’origine des préjudices du requérant (perte d’ensoleillement ; dépréciation de l’immeuble), alors que le recours formé contre le permis modificatif avait été rejeté par le tribunal administratif et que la commune avait contrôlé la conformité de la construction à ce permis » (Cass., Civ. 3e., 8 décembre 2016, n° 15-16.028, JurisData n° 2016-026278).   On peut donc constater que les Juges usent régulièrement de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, qui se veut extrêmement protecteur vis-à-vis du propriétaire d’une construction qui viole une règle d’urbanisme, mais qui est conforme au permis de construire, sous réserve bien entendu qu’il n’y ait pas d’atteinte aux tiers, par un trouble du voisinage avéré notamment.

[1] « Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique ».