Les époux D. (acheteurs) ont acquis une maison individuelle en état futur d’achèvement selon acte authentique en date du 22 décembre 2010, auprès de la société C. (venderesse), dans la commune de ROUSSY LE VILLAGE.
Ils ont pris possession des lieux le 28 janvier 2011, date à laquelle a été dressé le procès-verbal de réception assorti de réserves, réitérées dans un procès-verbal de constat dressé par un Huissier de justice.
Parmi les problèmes relatés peuvent être cités les cloisons de la salle de bain qui ne sont pas droites, de gros défauts sur la rampe d’escalier, des fissures sur les façades…
Les désordres étant multiples et considérables, les acheteurs ont décidé de ne pas régler le solde de la facture tant que la société C. n’aurait pas trouvé une solution pour remédier aux malfaçons constatées.
Faute de règlement amiable, une procédure de référé a par la suite été diligentée par les époux D., et un Expert judiciaire a été désigné selon ordonnance en date du 29 mai 2012. Celui-ci a déposé son rapport définitif le 22 avril 2013 et a confirmé la réalité des désordres allégués par les acheteurs.
L’Expert a en effet relevé plusieurs désordres qu’il convient de scinder en deux catégories :
Tout d’abord des désordres non-répertoriés dans les procès-verbaux bien qu’apparents au moment de la prise de possession, tels que des dégâts sur la joue de l’escalier intérieur, ou encore des défauts de réglage des portes intérieures. Cette première catégorie de désordres est à mettre à part puisqu’il n’existe aucune preuve quant à leur date de constatation d’une part, et qu’ils ne portent pas atteinte à la solidité de l’immeuble ni ne le rendent impropre à sa destination d’autre part. Ils ne peuvent, de ce fait, être couverts ni par la garantie décennale, ni par la garantie de l’article 1642-1 du Code civil[1].
La seconde catégorie de désordres est celle pour laquelle l’Expert a conclu à l’applicabilité de la garantie décennale, répertoriés comme suit :
- Différences de hauteur entre la première et la dernière marche de l’escalier par rapport aux autres (la première mesure 18 cm, la dernière 13,5 cm, et toutes les autres mesurent 17 cm). - La porte d’entrée ne présente plus d’ancrage de points de sécurité. - Un chéneau encastré a été réalisé le long de la façade arrière à défaut de gouttière pendante, et une plinthe a été collée sur l’enduit en pied de façade de façon inappropriée, en lieu et place de la bande de protection hydrofuge.
Selon le rapport de l’Expert, la responsabilité de la société C. est engagée sur le fondement des articles 1792[2] et suivants du Code civil.
Les acheteurs ont, dès lors, saisi le Tribunal de Grande Instance de THIONVILLE d’une demande tendant à voir condamner la société C., venderesse de l’appartement des époux D., au paiement de dommages et intérêts, eu égard aux coûts de reprises nécessaires pour la remise en état du bien.
Le Juge a statué en ce sens selon jugement en date du 5 octobre 2015.
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Pour tenter de se défaire de sa responsabilité, la société venderesse soutient que lesdits désordres relèvent de la responsabilité des entreprises ayant réalisé des travaux, et qu’elle entend à ce titre les appeler en garantie et solliciter leur condamnation.
Il est cependant constant que la venderesse en l’état futur d’achèvement est seul responsable à l’égard de l’acquéreur (CA, Paris, Pôle 4, ch. 5, 11 septembre 2013, JurisData n° 2013-019697).
Dans le présent jugement, le TGI retient que les défauts précités portent atteinte à la destination de l’ouvrage et/ou à la sécurité des usagers, corroborant ainsi les conclusions de l’Expert.
En effet, concernant les différences de hauteur des marches de l’escalier, le Juge soutient que « le désordre constaté qui est susceptible de nuire à la sécurité des usagers relève de l’article 1792 du Code civil ».
Concernant la porte d’entrée, il retient que « ce désordre, qui a pour effet d’empêcher une fermeture suffisamment sécurisée de la porte d’entrée, porte atteinte à la destination de l’ouvrage ».
Enfin, concernant le problème de chéneau et de plinthe, il affirme que « ces désordres relèvent de la garantie décennale ».
La responsabilité décennale des constructeurs est en effet applicable au vendeur d’immeuble en l’état futur d’achèvement, comme en dispose l’article 1792-1 du Code civil:
« Est réputé constructeur de l'ouvrage : (...) 2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire (…) ».
Le TGI a donc condamné la venderesse, sur ce fondement, au paiement de dommages et intérêts aux acheteurs dont les montants sont basés sur le coût estimé des travaux de reprises.
Le TGI a, sur ce point, appliqué une jurisprudence constante, la Cour d’appel ayant par exemple retenu, dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement, que « les désordres liés à des malfaçons (…) rendent l'ouvrage impropre à sa destination et entrent dans le champ d'application de la responsabilité décennale du vendeur d'immeuble à construire ». (CA, Paris, Pôle 4, ch. 5, 4 mai 2016, n° 10 / 17475, JurisData n°2016-008639).
La Cour de cassation approuve également ce raisonnement en retenant explicitement que le vendeur d'un immeuble en l'état futur d'achèvement est tenu de la garantie décennale du constructeur (Cass., Civ. 3e, 8 septembre 2010, n° 08-22.062, JurisData n°2010-016050 / Cass., Civ. 3e, 21 septembre 2011, n° 09-69.933, JurisData n°2011-019516).
Par conséquent, dans le cas d’espèce, le TGI se fonde sur une jurisprudence bien établie et stable, en retenant que le vendeur d’un immeuble dans le cadre d’une VEFA engage sa responsabilité sur le fondement de la garantie décennale, dès lors que les désordres retenus compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, pour reprendre les termes de l’article 1792 du Code civil.
[1][1] « Le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents. Il n'y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s'oblige à réparer ».
[2] « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ».