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Un défaut de raccordement des eaux pluviales et eaux usées rend-il un ouvrage impropre à sa destination ?

Le 02 mars 2015
Jugement du Tribunal de grande instance de METZ en date du 11 juin 2014 – Première partie

Les époux X. et les époux Y. ont acquis auprès de la SCI Z. deux parcelles contiguës, sur lesquelles ils ont fait construire leurs immeubles.

 

Un certificat d’urbanisme positif a été délivré, au terme duquel il était précisé que les différents branchements du réseau d’assainissement étaient à la charge du propriétaire vendeur, soit du lotisseur, la SCI Z., ainsi que la réalisation d’un trottoir.

 

La SARL L., mandatée par la SCI Z. et assurée au titre de la garantie décennale auprès de la compagnie C., a ainsi réalisé les travaux de branchement, quatre boîtes de branchements ayant été mises en œuvre sur les terrains, consistant en un regard eaux usées et un regard eaux pluviales sur chaque parcelle.

 

Il convient d’ores et déjà de préciser que la SCI Z. et la SARL L. ont le même gérant.

 

Or, les époux X. et les époux Y. ont constaté des problèmes de refoulement d’égout, les conduites d’évacuation s’étant bouchées.

 

Une entreprise spécialisée est intervenue et a constaté une insuffisance des diamètres de conduites d’évacuation des eaux usées, mais également que des conduits d’évacuation afférents à l’immeuble des consorts X. étaient communs à ceux de leurs voisins, les consorts Y.

 

La SCI Z. ayant refusé de procéder aux reprises nécessaires, les consorts X. et Y. ont saisi le Juge des référés et ont sollicité l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire, demande à laquelle il a été fait droit.

 

L’expert judiciaire a déposé son rapport, lequel confirme qu’il existe, selon le syndicat des eaux dont dépendait la commune, l’obligation de mise en œuvre d’un seul branchement eaux usées – eaux pluviales par maison, cette obligation incombant au vendeur, soit, en l’espèce, à la SCI Z.

 

Les époux X. et les époux Y. ont par conséquent saisi le Tribunal de grande instance de METZ, d’une demande dirigée à l’encontre de la SCI Z., de la SARL L. et de son assureur, la compagnie C.

 

Or, il s’avère que la SCI Z. s’est transformée en une SARL SCIZ., laquelle est intervenue volontairement à la procédure, puis a fait l’objet d’une liquidation amiable le 28 septembre 2013.

 

Les époux X. et Y. ont dès lors fait délivrer une assignation en intervention forcée à Monsieur G., gérant et liquidateur amiable de la SARL SCIZ.

 

La SARL L. a, quant à elle, fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire, les époux X. et Y. n’ayant pas déclaré leurs créances entre les mains du mandataire judiciaire.

 

 

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Le Tribunal de grande instance de METZ a statué selon jugement en date du 11 juin 2014, rappelant que la SCI Z. « n’a pas respecté le règlement sanitaire départemental qui impose les réseaux séparatifs EU et EP dans toutes les nouvelles constructions (même individuelles), en ne réalisant qu’un seul raccordement au réseau public pour les deux immeubles ».

 

Or, les époux X. et Y. avaient fondé, à titre principal, leur action sur la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil.

 

Pour que soit retenue la responsabilité décennale des constructeurs, le désordre dénoncé devait compromettre la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à sa destination.

 

En l’espèce, il n’était pas soutenu que les désordres dénoncés portaient atteinte à la solidité de l’ouvrage.

 

Le Tribunal a estimé qu’ils ne rendaient pas davantage l’ouvrage impropre à sa destination, dès lors que « La seule inobservation de règles concernant les branchements ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination. Par ailleurs, les canalisations n’ont été bouchées qu’à une seule reprise, et concernant un seul des deux terrains […] les risques d’engorgement voire d’inondations […] ne sont pas démontrés ».

 

Par conséquent, l’action des époux X. et Y. ne pouvait prospérer sur le fondement de la garantie décennale.

 

De la même manière, aucune demande n’était susceptible d’aboutir en ce qu’elle était dirigée à l’encontre de la compagnie C., assureur décennal de la SARL L. qui n’avait, par hypothèse, vocation à prendre en charge que les désordres de nature décennale.

 

 

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À titre subsidiaire, les consorts X. et Y. avaient fondé leurs demandes sur la responsabilité civile contractuelle des articles 1134 et 1147 du Code civil, ainsi que sur l’article 1604 de ce même Code.

 

Le vendeur, soit désormais la SARL SCIZ., a été déclaré responsable, sur le fondement de l’article 1604 du Code civil, pour ne pas avoir délivré aux acheteurs une chose conforme, la conformité s’appréciant « non seulement par rapport aux caractéristiques expressément stipulées dans l’acte, mais aussi par rapport aux obligations – règlementaires notamment – relatives à la vente d’un bien spécifique », l’inobservation par la SCI Z. du règlement sanitaire départemental constituant un manquement à son obligation de délivrance conforme.

 

Partant, la responsabilité de Monsieur G. a été retenue, celui-ci ayant tu aux demandeurs et au Tribunal l’existence d’une liquidation amiable de la SARL SCIZ., alors même que « le liquidateur amiable d’une société doit agir pour les besoins de la liquidation et sa mission essentielle est l’apurement intégral du passif ».

 

Le Tribunal a ainsi estimé qu’en cachant aux époux X. et Y. « l’existence de la liquidation de la SARL SCIZ., Monsieur G. les a empêchés de recouvrer les sommes que leur doit cette société en réparation de leur préjudice ».

 

En revanche, la responsabilité de la SARL L. n’a pas été retenue.

 

En effet, la SARL SCIZ reprochait à la SARL L. un manquement à ses obligations contractuelles, sans toutefois produire le contrat précisant leurs obligations respectives.

 

« Or, seul l’examen de ce contrat pourrait permettre de considérer que la SARL L. a commis un manquement à des obligations contractuelles qui restent à définir. En effet, si les travaux que la SARL L. devaient réaliser étaient précisément et strictement décrits dans le contrat, il ne lui appartenait pas de procéder à des travaux supplémentaires (création de puits perdus, branchements individuels pour chaque terrain) ou différents (diamètre des canalisations), même s’ils étaient indispensables pour une bonne viabilisation des terrains. ».

 

Il n’était ainsi pas démontré l’existence d’une faute imputable à la SARL L.

 

 

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Cette décision constitue une stricte application de la jurisprudence en la matière, qui considère qu’une non-conformité engage la responsabilité décennale du constructeur uniquement si elle engendre un dommage entrant dans les termes de l'article 1792 du Code civil ; dans le cas contraire, elle reste étrangère à la garantie décennale (Civ. 3ème, 28 févr. 2001 : RD imm. 2001, p. 170 et note Malinvaud. – Civ. 3ème, 14 mars 2001 : RD imm. 2001, p. 225 et 252 et la note ; Gaz. Pal. 2001, somm. p. 1546 et la note A. Clavier ; Mon. TP 21 déc. 2001, p. 166).

 

De même, la jurisprudence exige que le demandeur, invoquant une responsabilité de droit commun, apporte la preuve de la faute du constructeur (Civ. 3ème, 9 juill. 1997 [2 arrêts] : JurisData n° 1997-003314 et n° 1997-003320 ; RD imm. 1997, p. 591).